Au-delà de son formidable et historique parcours, Loïs Boisson épate la galerie avec son jeu fait d'incessantes variations, de lifts bondissants et de décalages coup droit. Avec l'aide de plusieurs experts du jeu, nous nous penchons ici sur le tennis caractéristique de la Française.
Décryptage : Loïs Boisson, taillée pour la terre
La sensation de ce Roland-Garros propose un tennis très "typé", qui colle parfaitement à la terre battue.

Coups gagnants et rotations
Loïs Boisson est certes, de très loin, la joueuse la plus mal classée (361e) parmi les rescapées de ce Roland-Garros. Mais, avant le début des quarts de finale, elle était n°1 au nombre de coups gagnants : 133, soit une moyenne impressionnante de 33 par match, qui reflète parfaitement ce qu'elle propose depuis le début du tournoi. La Française, qui a grandi sur terre battue, est une pure spécialiste qui ne se contente pas de remettre la balle dans le court. Elle crée, elle ose, elle varie et elle construit : avec elle, il faut que ça vive, que ça pétille et que ça parte dans tous les sens, au sens positif du terme. Le public français l'adore et les observateurs aussi !
"Par rapport à une Iga Swiatek qui frappe fort des deux côtés et qui est un peu un rouleau compresseur, Loïs est une terrienne dans un registre différent, analyse Guy Forget, consultant pour France Télévisions et star du Trophée des Légendes by Emirates 2025. C'est un jeu de terre battue basé sur la variation, qui la rapproche davantage d'un Lorenzo Musetti. Elle alterne les profondeurs, les trajectoires, les vitesses et les effets. Très peu de joueuses sont dans ce registre. Elle sort du cadre et c'est rafraîchissant au possible."
Une Boisson rafraîchissante, on n'aurait pas dit mieux. Mais une Boisson qui décape, quand même. Ce qui marque tout de suite dans le jeu de la Dijonnaise, c'est la puissance et le lift qu'elle imprime à son coup droit, son arme fatale. Les stats officielles du tournoi, fournies par Infosys, révèlent que l'un de ses coups droits gagnants, contre Jessica Pegula, a été flashé à 3851 rotations par minute. C'est plus fort qu'Iga Swiatek, pourtant référence en la matière, mesurée à 3588 rpm face à Elena Rybakina. C'est plus fort, même, que la plupart des hommes. Il faut aller chercher les chiffres de Carlos Alcaraz et Jannik Sinner, qui flirtent régulièrement avec les 4000 rpm, pour trouver mieux.
"Elle possède un vrai coup droit de terre battue, un peu comme un joueur espagnol, poursuit Guy Forget. La balle gicle et accélère quand elle touche le sol, c'est impressionnant ! Elle a, pour cela, une explosivité physique extraordinaire, qu'elle a sûrement beaucoup travaillée. Hormis Gabriela Sabatini à l'époque, ou peut-être Francesca Schiavone plus récemment, j'ai vu très peu de filles avec un tel coup droit."
76% de coups droits contre Elsa Jacquemot !
"Son coup droit lifté, c'est l'une des choses qui m'a le plus impressionnée sur ce Roland-Garros !, s'extasie l'ancienne n°1 mondiale Kim Clijsters, double finaliste à Paris (2001, 2003). J'aime la vitesse qu'elle imprime à la tête de raquette. J'adore la voir courir pour tourner autour de son revers et prendre le contrôle de l'échange. On a toutes essayé de jouer un peu comme ça sur terre battue, notamment en voyant Rafael Nadal. Le problème, c'est que c'est très difficile à faire sur la durée."
Difficile, parce que le jeu de Loïs Boisson demande à la fois de la puissance, de l'explosivité et de l'endurance pour assumer l'énorme couverture de terrain que nécessitent ses incessants décalages. Là encore, les statistiques sont frappantes. Contre Elsa Jacquemot, sur 337 frappes du fond de court, elle en a joué 257 en coup droit, soit 76% ! Contre Jessica Pegula, qui a davantage essayé d'aller la chercher sur son point fort pour pouvoir mieux la coincer ensuite sur son revers – en vain, finalement –, ce chiffre est tombé à 63,5%. Mais il reste énorme, quand on sait que la moyenne générale se situe plutôt autour des 50%, voire moins.

Loïs Boisson s'est totalement déportée sur la gauche pour armer son décalage coup droit.

Elle envoie un gros "kick" sur le revers de Pegula, qui se retrouve submergée. La Française bénéficie alors d'un coup droit "penalty", qu'elle réussit plein centre.
Puissance, explosivité et vélocité
"Ce que propose Loïs est rare chez les filles, qui ont tendance à beaucoup moins refuser le revers que les garçons, confirme l'ancien n°1 français, Jo-Wilfried Tsonga. Le décalage coup droit, et je suis bien placé pour en parler, c'est très physique. Il faut avoir cette capacité à se dégager. Elle, elle a cette vitesse de jeu de jambes qui lui permet de tourner autour de la balle et de créer un moment d'incertitude chez l'adversaire. C'est sa grande particularité, tout comme son service très "kické", très puissant, qui gêne énormément ses adversaires."
Son physique, très athlétique, est la fois la force et la faiblesse de la Tricolore. Sa faiblesse, car son corps l'a souvent trahie, notamment l'an dernier lorsqu'une rupture des ligaments croisés du genou gauche survenue juste avant Roland-Garros l'avait mise sur le flan pour le reste de la saison. Sa force car, lorsque tout va bien ou presque comme en ce moment, elle n'a que peu d'équivalent en termes de puissance, de vélocité et d'explosivité. "Ce qui m'impressionne le plus chez elle, c'est avant tout sa vitesse de déplacement, enchaîne Jo-Wilfried Tsonga. On dirait qu'elle a presque envie qu'on l'attaque pour pouvoir se lâcher, courir partout, faire des glissades... Ses déplacements s'apparentent à ceux des plus grands joueurs de terre battue."
Et comme tous les plus grands joueurs de terre battue, Loïs Boisson base sa force sur trois piliers fondamentaux : la patience, le sens du jeu et la variété. Si ses schémas sont certes bien ancrés, c'est pour mieux les "casser" quand il le faut, afin de surprendre l'adversaire. Ainsi, on ne peut pas parler de son jeu sans évoquer ses amorties : contre Pegula, elle en a tenté 34, dont plusieurs cruciales dans un dernier jeu sous haute tension. La n°3 mondiale en a perdu son latin.

Alors qu'elle doit sauver une balle de 5-5 dans le dernier jeu, Loïs Boisson tente une amortie audacieuse, qui surprend Pegula.

Pegula est sur la balle, mais elle est un peu courte. La Française termine le point sur un lob de revers parfaitement exécuté.
"Une bonne joueuse de tennis tout court"
"Pegula, qui n'est pas une pure terrienne, s'est totalement embourbée dans ce jeu-là, a noté Nathalie Dechy, 11e joueuse mondiale en 2006. Loïs ne lui a jamais envoyé deux fois la même balle. Elle utilise très bien les angles et a parfaitement su jouer avec la grandeur du court Philippe-Chatrier. Son revers est peut-être moins décisif, mais elle le slice beaucoup et ça aussi, ça casse l'élan de l'adversaire. Et puis, on a vu qu'elle était également capable d'accélérer de ce côté-là."
"Pour moi, au-delà d'être une terrienne, c'est d'abord une bonne joueuse de tennis tout court", enchaîne l'ancien "Mousquetaire", Gilles Simon. Elle joue juste et comprend ce qui se passe sur le terrain. Elle attaque quand il faut attaquer, elle défend quand il faut défendre. Cela paraît simple, mais il y en a beaucoup qui n'y parviennent pas, qui s'imposent un style et qui ne 'respectent' pas le jeu. C'est pour cela que je trouve Loïs si agréable à voir jouer. Et je suis sûr qu'elle progressera vite sur les autres surfaces aussi."
Ce sera l'une des grandes questions autour de Loïs Boisson dans son "après Roland". Sera-t-elle capable de maintenir le même niveau de jeu et de l'adapter au-delà de sa surface préférentielle ? À seulement 22 ans, elle a le temps d'y penser et ce n'est pas tellement le moment. Place d'abord à un quart de finale extrêmement difficile, ce mercredi, face à Mirra Andreeva, une joueuse qui, du haut de ses 18 ans, a réponse à beaucoup de choses sur le plan tactique. Un défi XXL, donc. Mais, pour Boisson, une nouvelle gorgée de bonheur et d'expérience, quoi qu'il arrive.
