Décryptage : Sabalenka, la fusion de l'acier et du velours

Opposée à Qinwen Zheng ce mardi, la numéro un mondiale opère un changement de taille dans son jeu depuis le début de Roland-Garros.

 - Hugo Rondet

Les meilleurs joueurs du monde le répètent à l'envi : le haut niveau est une affaire de détails. Voilà pourquoi Aryna Sabalenka, vingt titres WTA au compteur dont trois en Grand Chelem, a décidé d'opérer une mue dans son jeu.

Réputée pour sa puissance, la patronne du circuit a pris pour habitude de distribuer des gifles aux quatre coins du globe. Mais prendre ses adversaires à défaut par la force de ses coups ne lui suffit plus. Lancée à la conquête des plus grands trophées du monde, elle sait que pour gagner Roland-Garros, frapper fort ne suffira pas. La faute aux spécificités de l'ocre, une surface particulièrement exigeante pour son profil de jeu. Plus lente que le dur ou le gazon, la terre battue impose un défi différent aux cogneuses de la trempe de Sabalenka.

Au-delà de sa lenteur, la terre présente la particularité d'être plus sensible aux effets que le dur. Il est donc plus difficile d'y terminer les points. Une réalité dont la tête de série n°1 du tableau dames est pleinement consciente. "Sur cette surface, la puissance ne suffit pas, il faut parfois construire le point trois ou quatre fois au cours d'un même échange, a-t-elle analysé lors du Media Day, en marge du tournoi. Il faut être prêt physiquement et mentalement, avoir de la variété dans son jeu."

Le filet, nouveau terrain de chasse

Des paroles aux actes. Depuis le début de la quinzaine parisienne, la double championne de l'Open d'Australie agrémente ses matchs de quelques variations, par petites doses. Si son style de jeu reste celui d'une frappeuse de fond de court, elle s'autorise désormais davantage d'expéditions vers le filet. Loin d'être la meilleure volleyeuse du circuit, cette dernière procède étape par étape et ne monte pas dans n'importe quelles conditions. Plutôt que de se précipiter vers l'avant, elle choisit souvent la bonne balle, de sorte à n'avoir qu'une volée facile à poser pour boucler le point. Exemple face à Olga Danilovic, au troisième tour.

Après avoir fait la différence en coup droit, Sabalenka, qui pourrait rester en fond de court et attendre la remise de sa rivale pour continuer l'échange, décide d'aller vers l'avant pour écourter le point.

Voyant Danilovic acculée et excentrée, la n°1 mondiale tente une montée à contretemps. Elle n'a plus qu'à déposer une volée, facile à exécuter dans le court vide, pour récolter les fruits de son travail.

Depuis le début de Roland, la star du circuit féminin monte au filet au moins dix fois par match. Souvent avec succès. Contre Danilovic justement, son ratio est même monté à 91% de réussite (10/11). Deux jours plus tôt, face à Jil Teichmann, celui-ci était resté bloqué à 74%, mais elle avait plus souvent voyagé vers l'avant (14/19).

En plus de ses nouvelles dispositions offensives, la demi-finaliste de l'édition 2023 a recours à d'autres méthodes pour varier son jeu. À commencer par le slice. Opposée à sa bête noire Amanda Anisimova (n°16) ce dimanche en huitièmes de finale, elle n'a pas hésité à glisser quelques revers coupés. Son objectif ? "Casser le rythme au maximum", selon ses propres dires à l'issue de son succès en deux manches.

Attaquée sur son revers par Anisimova, Sabalenka manque de temps pour répliquer. Elle décide, au dernier moment, de tenter un slice de revers. Si son geste n'est pas maîtrisé à 100%, l'intention sera récompensée...

... car son slice court force sa vis-à-vis à entrer dans le terrain. Cela lui libère de l'espace long de ligne, qu'elle ne se prive pas d'exploiter en concluant d'un coup droit.

Dépassée par séquences par la puissance d'Anisimova, elle s'en est parfois sortie par l'utilisation du slice défensif, à l'image de ce point.

Sa remise courte force l'Américaine à jouer une amortie, parfaitement lisible pour Sabalenka. À l'heure sur la balle, elle parvient à glisser une contre-amortie gagnante.

Ce plan de jeu, elle l'a répété plusieurs fois pour s'extraire des schémas en cadence du fond du court dans lesquels elle se plaît pourtant énormément. "Amanda frappe fort, a t-elle glissé à la presse. Je savais que je n’aurais pas beaucoup d’opportunités d’utiliser mon jeu en toucher mais j’ai tout de même essayé de changer le rythme au maximum. Je pense avoir bien réussi, tout en restant agressive. Ces petits moments m’ont aidée à la maintenir sous pression." Tactique gagnante.

L'amortie, chantier majeur

Mais l'évolution la plus frappante dans le jeu de la n°1 mondiale n'est ni à trouver au filet, ni dans les slices. En terre parisienne, elle s'essaie surtout à l'amortie. Là encore, il s'agit d'un axe prédéfini avant même le début des hostilités. "Sur terre battue, en particulier ici à Roland-Garros, faire des amorties apporte beaucoup de bénéfices. C’est un coup que j’utilise beaucoup plus sur terre battue", a-t-elle révélé durant le Media Day.

Coup très prisé par les purs terriens, l'amortie est en effet particulièrement efficace sur l'ocre. Le rebond haut, comme la lenteur de la surface, invite souvent les joueurs à se positionner loin en fond de court, tant il est difficile de tenir sa ligne. Glisser une amortie permet donc de surprendre l'adversaire et offre souvent un point gratuit, en raison de la distance à combler.

Lors de ses précédentes sorties, Sabalenka n'a pas hésité à user de l'amortie, y compris sur les points importants, à l'image de cette balle de premier set au deuxième tour face à Jil Teichmann. Son coup sera gagnant.

Contre Anisimova, elle a tenté moitié moins d'amorties (7) que face à Teichmann (14). Mais lorsqu'elle y a eu recours, elle a souvent connu de la réussite (5/7).

Bien masquée, l'amortie de Sabalenka surprend son adversaire, en retard sur la balle.

Maîtriser l'amortie n'est pas chose aisée. Si pour certaines artistes du circuit, à l'image de Ons Jabeur ou encore Karolina Muchova, ce coup est devenu naturel, il a longtemps été absent du logiciel de "Saba", habituée à martyriser la balle jaune plutôt que de la caresser. La solution ? Des heures et des heures de pratique. "Actuellement, je dirais que je passe 20% de l'entraînement à travailler mon toucher", avait-elle d'ailleurs confié avant le tournoi.

Consciente de ses lacunes dans l'exercice, la lauréate de l'US Open 2024 ne tente pas le coup gagnant à chaque amortie. Ici face à Teichmann, elle attire intelligemment la Suissesse vers l'avant...

... et en profite pour lui glisser un passing facile à exécuter côté revers.

Si tout n'est pas encore parfait, la mutation tactique opérée par Sabalenka prouve sa motivation. Alors qu'elle vit la meilleure période de sa carrière, sa volonté est claire : repousser ses limites et ouvrir son champ des possibles. Face à Qinwen Zheng, elle s'apprête à passer un premier crash-test de taille.