×

Décryptage : Alcaraz, les secrets de la remontada

Retour sur le match légendaire de Carlos Alcaraz en finale de l'édition 2025.

 - Hugo Rondet

Une finale d'ores et déjà entrée dans la légende. Au bout d'un match dont le souvenir ne s'effacera probablement jamais de la mémoire des fans de tennis du monde entier, Carlos Alcaraz s'est adjugé son deuxième titre à Roland-Garros, renversant Jannik Sinner en cinq manches et 5h29 de jeu (4/6, 6/7(4), 6/4, 7/6(3), 7/6(2)). Longtemps malmené, le génie espagnol a relancé la partie de manière spectaculaire, écartant trois balles de titre dans la quatrième manche avant de revenir à hauteur et de remettre le couvert lors d'un ultime set exceptionnel. Un scénario dingue, absurde, démentiel... mais pas aussi irrationnel qu'il n'y paraît. Retour sur les moments clés d'une victoire pour l'Histoire.

Mais comment a-t-il fait ? Comment Carlos Alcaraz, dans les cordes une partie de la rencontre, a-t-il réussi l'exploit de faire vaciller l'imperturbable n°1 mondial, monstre de sang-froid dont Novak Djokovic - maître absolu du combat psychologique - a loué les mérites après sa défaite dans le dernier carré vendredi ? Aussi fou que cela puisse paraître, la réponse est simple : au cœur de la fournaise, au moment où jouer juste est le plus difficile, "Carlitos" est revenu aux basiques.

Lors des deux premier sets, le Murcien a été pris dans un tourbillon. Opposé à un adversaire au sommet de son art, il a d'abord vécu une finale difficile, subissant dans tous les secteurs de jeu, dont le plus important : la dynamique service-retour. Longtemps Jannik Sinner, le meilleur joueur sur le court, a mieux servi et mieux relancé, ne laissant pas la moindre opportunité à son rival de respirer. À la fin de la première manche, Alcaraz n'avait gagné que 55% de points derrière sa première (68% pour Sinner), et 39% des points au retour (contre 47%). Cette statistique s'est même dégradée lors du deuxième set (34%).

Les deux pieds sur la ligne, le lauréat du dernier Open d'Australie est longtemps parvenu à étouffer les velléités offensives de son adversaire. Son plan ? L'empêcher coûte que coûte d'effectuer des décalages coup droit dévastateurs. Pour cela, le patron du circuit a refusé de céder le moindre centimètre de terrain, contrôlant toujours le déroulé de l'échange grâce à son arme fétiche : la redirection. Exemple sur ce point à l'entame de la deuxième manche, durant lequel il reste constamment le maître du jeu.

Sinner, coup droit ciblé

Dans le creux physiquement au troisième set, Sinner a lâché du lest pour mieux rebondir à l'entame du quatrième. Toujours aussi létal, il a fait le break pour mener 5-3 puis 40-0 sur le jeu de service suivant d'Alcaraz. Un avantage décisif, pensait-on, avant le début de la folie.

Dos au mur, l'Espagnol a tenté le tout pour le tout. Plutôt que de rester dans le duel de cadence du fond du court avec son vis-à-vis, il a alourdi le poids de ses frappes et arrondi ses trajectoires. Le but ? Cibler le coup droit de Sinner, qui adore prendre la balle tôt depuis sa ligne, pour le forcer à reculer. Un choix payant, car dans ce moment crucial, le bras du Transalpin a un peu tremblé.

5-3, 40-0. Dès le début du point, le n°2 mondial décide de mettre beaucoup de lift dans son coup droit, pour plus de sécurité mais aussi pour perturber Sinner.

Toujours près de sa ligne, ce dernier refuse de reculer mais voit la balle rebondir très haut, ce qui le met dans une position inconfortable.

Alcaraz poursuit son travail de sape, avec un nouveau coup droit plein d'effet, cette fois-ci pour déporter l'Italien vers l'extérieur.

En bout de course, le finaliste malheureux prend tous les risques mais son geste n'est pas maîtrisé et débouche sur une faute en longueur.

5-3, 40-15. Peut-être la balle de match sur laquelle Sinner peut avoir le plus de regrets. Sur une deuxième balle, le protégé de Darren Cahill et de Simone Vagnozzi décide de relancer avec agressivité. Les deux pieds sur la ligne, il tente le retour gagnant long de ligne. Trop long.

5-3, 40-30. Après un retour très long, Sinner prend le contrôle de l'échange. Pour répliquer, "Carlitos" se sert une nouvelle fois de son lift.

Sur le reculoir, son opposant tente de résister à l'effet de la balle, mais son plan de frappe n'est pas bon. Son coup droit craque une nouvelle fois et termine sa course dans le filet.

Incroyablement lucide dans ce moment de haute tension, Alcaraz a poursuivi sur sa très bonne lancée pour s'adjuger le quatrième set. Après plus de 3h40 à subir le rythme infernal de son adversaire, il a enfin trouvé la faille : la diagonale coup droit.

Le tennis étant un sport de dynamique, c'est au moment où le coup droit de Sinner a le plus souffert que celui du nouveau champion a pris une autre dimension.

Sur ce point crucial pour rester au contact dans le tie-break, il laisse sur place son vis-à-vis avec une gifle dans la diagonale. Avec 22 coups gagnants réussis en coup droit lors des troisième et quatrième sets, l'Espagnol est largement monté en puissance par rapport aux deux premières manches (14).

Toujours fidèle à son schéma, le champion a poursuivi son travail de sape lors de la fin du tie-break. Son nouveau coup droit bombé va faire très mal à Sinner.

L'Italien peine encore à trouver le bon plan de frappe et subit le lift adverse. Le rebond haut le gêne énormément. Résultat : sa balle sort des limites du court.

Le roi de la terre

Totalement relancé à l'entame d'un cinquième set de tous les dangers, Alcaraz a choisi le meilleur moment pour livrer une véritable masterclass tactique et rappeler au monde du tennis que le boss de l'ocre, c'est lui. Dans l'incapacité de mettre en place ses schémas de terrien durant la première partie de la rencontre, il a utilisé toute sa palette dans le sprint final pour écœurer un Sinner moins bien physiquement après quatre heures de jeu. À commencer par le service kické.

Pour sauver une balle de débreak à 2-1 en sa faveur, le n°2 mondial décide d'utiliser le service kické, sa mise en jeu favorite sur terre battue.

Moins à l'aise face à un tel rebond, le Transalpin laisse tout le court ouvert à son opposant. Ce dernier en profite pour se décaler en coup droit et terminer le point en deux coups de raquette.

Très discrète au début de la partie, la célèbre amortie de "Carlitos" a également crevé l'écran durant le cinquième set, preuve de la montée en puissance et de la prise de pouvoir du Murcien. Conscient de la fatigue physique de son rival - qui n'a encore jamais remporté de match dépassant les 4h au cours de sa carrière -, il en a tenté 11 au cours de la manche décisive, plus que durant les deux précédentes réunies (8). Un schéma souvent gagnant, à l’image de ces deux points cruciaux.

Alcaraz, maître du "clutch"

Pour parachever le récital, Alcaraz, insubmersible malgré l'imprédictible retour au premier plan de son adversaire en toute fin de rencontre, a tendu les bras vers la Coupe des Mousquetaires en livrant un super tie-break absolument stellaire. Invaincu en finale de Grand Chelem, le n°2 mondial a rappelé au monde qu'il n'a pas d'égal sur le circuit dans ce genre de moments décisifs.

À l'image de la fin du quatrième set, l'Espagnol a considérablement élevé son niveau lors des dernières minutes de la partie. Ici, sa gifle de coup droit croisée rebondit pile sur la ligne et laisse sur place Sinner. Risque payant.

Toujours aussi serein malgré la pression et l'enjeu, "Carlitos" a la lucidité et le courage de tenter des amorties pendant le super tie-break. De quoi surprendre Sinner, qui part de loin.

Impressionnant de ténacité, ce dernier est présent sur la balle, mais le passing est facile pour le Murcien.

Sorti vainqueur d'un match d'anthologie qu'il considère lui-même comme "le plus grand auquel il a pris part", Alcaraz a écrit l'histoire et envoyé un message clair à tous ses rivaux par la même occasion : le battre en finale de Grand Chelem constitue déjà l'un des plus grands challenges de la discipline. En plus de son talent fou, les ressources du n°2 mondial sont inépuisables. Sens tactique, adaptation, résilience, sang-froid... Le Murcien a tous les atouts et toutes les cartes en main. Il en fait déjà très bon usage, et ça ne fait que commencer.