Héroïque, Alcaraz remporte une finale d’anthologie

L’Espagnol a glané un deuxième titre consécutif à Roland-Garros au terme de la plus longue (et la plus folle) finale de l'histoire du tournoi face à Jannik Sinner.

Carlos Alcaraz Finale, trophée, Roland-Garros 2025©Corinne Dubreuil / FFT
 - Marius Veillerot

Carlos Alcaraz a surmonté deux manches de retard, trois balles de match et un super tie-break pour conserver une Coupe des Mousquetaires qui semblait alors promise à Jannik Sinner (4/6, 6/7(4), 6/4, 7/6(3), 7/6(2) en 5h29). Déterminé à conserver son titre, le numéro deux mondial est parvenu à faire basculer la partie dans l’épique, malgré le calme olympien et les coups de boutoir de son rival. Il a désormais remporté les cinq premières finales majeures auxquelles il a pris part.

Au tennis, les légendes s’écrivent en cinq sets. "Rafa", "Roger" et "Djoko" l’avaient très bien compris. Mais ce dimanche, la scène appartenait aux deux nouveaux extraterrestres, âgés de 22 et 23 ans, qui ont poussé la dramaturgie jusqu'au super tie-break. Opposés pour la première fois en finale d’un Grand Chelem, Carlos Alcaraz et Jannik Sinner savaient que leur rivalité s’envolait vers une nouvelle galaxie. Cette perspective ne leur suffisait pas. Ensemble, ils se sont tour à tour transmis le crayon pour écrire une histoire absolument légendaire sur la terre battue du court Philippe-Chatrier.

L’Italien a eu le droit d’imaginer les premières lignes du roman, quelques rebondissements, mais le point final et le titre étaient réservés à la plume de "Carlitos". Jamais le magicien d’El Palmar n’avait surmonté un retard de deux sets en Majeur. Il a donc réalisé cette prouesse en finale de Roland-Garros, face au meilleur joueur du monde (4/6, 6/7(4), 6/4, 7/6(3), 7/6(2)).

Contre un adversaire imperturbable, doté d’un calme olympien et d’un brumisateur censé éteindre tout départ de feu, le Murcien a embrasé la terre lors d’un quatrième set dément. En poète perfectionniste, il a ajouté trois balles de match à défendre au scénario déjà fou de la partie. Avant cela, il s'était quelque peu emmêlé les pinceaux face à la cadence de l'Italien, avait de nouveau été victime de ses sautes de concentration et était passé très (très) proche de s'incliner pour la première fois de sa carrière en finale de Grand Chelem. Mais le génie d’El Palmar est sorti de sa lampe. Il s’est raccroché à son instinct, son incroyable talent mais aussi aux deux autres branches qui guident son tennis : le sens du spectacle et l’appui du public.

Trois balles de match sauvées

Moins frais physiquement et frustré d’avoir laissé filer un set, Sinner avait pourtant rallumé son détonateur dans cette fameuse quatrième manche. Pour mesurer sa détermination, il suffisait de tendre l’oreille et d’écouter le bruit de ses frappes. Conscient que son vis-à-vis ne subirait aucune panne d'essence, il a accéléré la vitesse de ses balles de plusieurs km/h. "Carlitos" est évidemment entré dans la danse et à ce violent petit jeu, il a failli perdre. À 3-5, 0-40, il a su absorber les retours profonds du Transalpin avant de les redistribuer dans les lucarnes de l’autre côté du filet. Résultat : trois balles de match écartées, trois ovations déclenchées.

Il s’y est pris de la même manière pour boucler ce jeu, qui a dû coûter quelques points de vie aux deux joueurs. Le protégé de Juan Carlos Ferrero n’était alors pas encore définitivement sauvé mais il est parvenu à débreaker dans le jeu suivant avant de remporter un tie-break capital, le doigt sur l'oreille, face à des spectateurs ébahis. Deux sets partout et un nouveau cran franchit sur l'échelle de la folie.

Admirable de fair-play sur plusieurs points litigieux, Sinner a encaissé de plein fouet le volume imprimé par son rival. Moins précis, le métronome italien a été davantage repoussé à plusieurs mètres de la balle par les attaques d'Alcaraz. Ce dernier lui a continuellement offert ses deux grands classiques : les services extérieurs suivis de coups gagnants long de ligne et l’amortie.

Un bouquet final de toute beauté

Breaké d'entrée dans le dernier acte, le numéro un mondial semblait avoir laissé passer sa chance. Plus lent dans ses déplacements et les sourcils davantage froncés au moment de se rasseoir sur son banc, il n'a pas définitivement lâché pour autant. Au bout du raisonnable voire de l’imaginable, là où il n’y avait plus rien à inventer sur le papier, il a tout simplement refusé que son adversaire ne poinçonne trop vite son ticket pour la croisière "Coupe des Mousquetaires". À 4-5, alors que son dauphin servait pour le gain de cette édition 2025, il a dégainé une contre-amortie monumentale, au bout d’une course interminable, là où tout le monde avait vu la balle doubler.

Cet exploit l’a mené au débreak puis au super tie-break. Au regard des événements tous plus inexplicables les uns que les autres qui s'étaient déjà produits au cours de la rencontre, la mainmise de "Carlitos" lors de ce jeu décisif XXL a saupoudré sa prestation d’une touche supplémentaire d’irrationalité. De joueur extraordinaire mais bousculé pendant près de 5h30, il est redevenu cet extraterrestre intouchable qui fait peur à toute la planète tennis, Sinner compris, pour inscrire 10 points, sans doute placés très haut dans la hiérarchie des plus importants de sa carrière.

Irréprochable et très classe, l'Italien a traversé le terrain pour relever son bourreau, soufflé par son propre exploit. Un exploit partagé, tant le niveau de jeu des deux hommes a constamment atteint des sommets, et un nouveau record débloqué pour les deux ovnis : celui de la finale la plus longue disputée à Roland. Ensemble, ils ont effacé les 4h42 du Wilander - Vilas de 1982. L’histoire n'est jamais loin lorsqu'on assiste à une telle dramaturgie.

Ainsi, le tenant du titre a conservé sa couronne, lui qui a donc remporté ses cinq premières finales majeures. Seul Federer avait réussi cette prouesse depuis le début de l’ère Open. Les comparaisons chiffrées seront inévitables avec le Suisse, comme avec Nadal et Djokovic, mais Alcaraz a préféré diriger la lumière vers son rival, défait quant à lui pour la première fois en finale majeure. "Jannik, c’est un privilège de partager le court avec toi et d'entrer dans l’histoire du tennis en ta compagnie. Je suis vraiment ravi de faire ça avec toi." Ensemble, pendant 5h29 ce dimanche. Et bientôt beaucoup plus. C'est tout ce que l'on peut souhaiter au tennis.