Décryptage : Coco Gauff, ode à la patience et à l'intelligence

L'Américaine a remporté son premier Roland-Garros au terme d'une finale au scénario fou face à Aryna Sabalenka. Retour sur un sacre à l'image de la nouvelle championne : construit et méthodique.

 - Hugo Rondet

Au bout de l'effort, elle s'est effondrée de bonheur sur la terre battue parisienne. Coco la guerrière l'a fait : trois ans après son revers sans appel en finale face à Iga Swiatek, c'est à son tour de régner dans la ville lumière. Victorieuse face à Aryna Sabalenka (6/7(5), 6/2, 6/4 en 2h38), elle s'est adjugé un deuxième titre du Grand Chelem, après l'US Open 2023, en s'appuyant sur une intelligence tennistique et émotionnelle absolument bluffante.

Solidité, régularité... le champ lexical accolé au jeu de Coco Gauff semble antinomique avec l'âge inscrit sur sa carte d'identité. À seulement 21 ans, la n°2 mondiale sait déjà faire ce qui est sans doute le plus difficile pour un joueur de tennis : réussir le coup juste au bon moment. Jamais dans le surjeu, la nouvelle championne a pris le meilleur sur sa rivale ce samedi sans briller de mille feux, mais en maîtrisant presque tout le temps les événements.

Une défenseuse taillée pour la terre

La victoire de Gauff, c'est avant toute chose celle d'une joueuse très à l'aise sur terre battue. À rebours de l'idée reçue selon laquelle les Américains et l'ocre ne sont pas faits pour s'aimer, la Floridienne a eu le coup de foudre dès le plus jeune âge. Si son premier sacre majeur est intervenu dans la folie new-yorkaise, c'est bien à Paris qu'elle a obtenu ses meilleurs résultats en Grand Chelem : finale en 2022, quart de finale en 2023, demi-finale en 2024...

Reconnue pour ses qualités défensives exceptionnelles et ses capacités athlétiques hors normes, la nouvelle reine est capable de remettre la balle dans le terrain aussi longtemps que nécessaire pour pousser son adversaire à l'erreur. Un plan de jeu parfaitement adapté à la terre, surface sur laquelle elle se transforme en véritable mur pour empêcher ses opposantes de finir les points. Sabalenka peut en témoigner.

D'abord dépassée par les gifles de coup droit venues de l'autre côté du filet, Gauff, rapidement menée 4-1, a accepté de subir. Retranchée au fond du court, elle a repris confiance en retournant des points mal engagés, à l'image de ce passing de revers gagnant consécutif à un smash mal exécuté par sa rivale.

Si elle ne possède pas de coup exceptionnel dans son arsenal, Gauff est dotée d'un œil et d'un sens de l'anticipation supérieurs à la moyenne. L'Américaine sent les coups, comme ici pour débreaker et emmener la n°1 mondiale dans un jeu décisif.

Ses passings incessants (20 au total sur l'ensemble de la rencontre) ont rendu folle sa rivale, qui a parfois perdu sa lucidité au filet. Pas la plus à l'aise dans le jeu en toucher malgré toute sa bonne volonté, cette dernière n'a pas connu une grande réussite lorsqu'elle s'est portée vers l'avant (25/40). La faute aux remises assurées de la native d'Atlanta, consciente des lacunes de son adversaire du jour.

Dans ce jeu ultra accroché à 5-4, lors duquel Gauff écarte notamment une balle de set, Sabalenka donne tout pour conclure au plus vite. Sur ce point, l'Américaine s'arrache pour défendre en extension après une accélération de son adversaire.

En position très favorable, Sabalenka se présente au filet, mais Gauff reste vigilante et remet encore la balle en jeu.

Cette dernière remise n'est pas parfaite, mais elle suffit à pousser à la faute la triple lauréate en Grand Chelem. Sa volée ne dépasse pas le filet.

Malgré la perte du premier set, l'Américaine n'a jamais baissé d'intensité, au contraire de son adversaire, de plus en plus frustrée au fil des minutes. Sentant le scénario de la finale lui échapper, elle a buté sur la muraille Gauff, toujours aussi présente pour profiter des errements de la patronne au filet.

Voyant sa rivale présente à mi-court, Gauff décide de la fixer en déposant un chop (une balle flottante sans consistance) pour la forcer à ré-accélérer.

La volée de "Saba", trop longue et pas assez basse, donne l'opportunité à l'Américaine de réaliser un passing long de ligne. Il sera gagnant.

Un "QI tennis" déjà très élevé

À 21 ans, la désormais double lauréate en Grand Chelem impressionne par sa maturité tactique. Sur le terrain, Gauff sait ce qu'elle fait et appuie sur les faiblesses des autres joueuses. Pour soulever la Coupe Suzanne-Lenglen, elle a identifié deux défauts dans le jeu de son adversaire et ne les a pas lâchés durant toute la partie : la qualité de déplacement et le revers.

Grand gabarit, Sabalenka est souvent à la peine lorsqu'il s'agit de se déplacer et préfère distribuer la balle plutôt que de courir après. Une réalité d'autant plus vraie sur terre battue, où les glissades peuvent parfois poser des problèmes aux joueurs au centre de gravité le plus élevé. Pour en profiter, la Floridienne n'a pas hésité à utiliser l'amortie, arme parfaite pour casser le rythme de l'échange.

Sur ce point, la n°2 mondiale tente l'amortie alors que Sabalenka n'est pas très loin de sa ligne. Un choix risqué mais payant, car la vitesse n'est pas le point fort de son opposante.

Cette dernière atteint bien la balle, mais ne peut que la remettre sans ré-accélérer. Gauff en profite pour poursuivre son travail de sape, et renvoyer la favorite de la finale vers l'arrière, avec un petit lob déposé.

"Saba" fait l'effort une deuxième fois, pas une troisième. L'Américaine, qui l'a déplacée d'avant en arrière, en récolte les fruits et dépose une volée facile.

Une tactique de plus en plus efficace sur le long terme. Sortie victorieuse d'un bras de fer long d'1h17 durant le premier set, la n°1 mondiale a baissé d'un ton à l'entame de la deuxième manche. Clairvoyante, Gauff s'est fait un plaisir de la cuisiner pour tirer profit de sa baisse physique.

Mal placée sur ce point, le lauréate des dernières Finales WTA s'en sort encore grâce à l'amortie.

Son coup n'est pas très bien exécuté, mais Sabalenka, toujours en difficulté pour rallier le filet, manque totalement son revers.

Le revers, justement, voilà un autre aspect du jeu concrètement ciblé par Gauff. Beaucoup plus régulière en revers qu'en coup droit, la protégée de Jean-Christophe Faurel a tout fait pour empêcher sa rivale de la sanctionner sur son côté faible. Elle a donc souvent orienté le jeu dans sa diagonale préférée, ce qui a eu des effets bien plus positifs que prévu. En variant les trajectoires et les longueurs, elle a déréglé son adversaire, coupable de 39 fautes directes (!) en revers. Exemple au cours du troisième set.

Durant ce long rallye, Gauff va littéralement harceler le revers de Sabalenka en lui proposant quatre équations différentes. D'abord, un slice long, qui la force à baisser les jambes pour ré-accélérer.

Puis un coup droit très bombé et dur à contrôler pour la n°1 mondiale, qui refuse de perdre du terrain et tente de prendre la balle très tôt pour rester au contact.

Gauff lui propose ensuite de venir vers l'avant, avec cette fois, une amortie centrée empêchant "Saba" de se décaler en coup droit.

Dernière étape de la masterclass, une remise très basse, mal exploitée par la finaliste. Sur ce point, cette dernière n'a jamais frappé deux revers de la même manière, tant la variation l'a contrainte à s'adapter.

Le pragmatisme avant tout

Mais la maturité de la Queen Coco ne s'exprime pas uniquement via son sens tactique très aiguisé. Lorsque les choses se précisent et que le bras devient lourd, la jeune prodige n'est pas du genre à s'embarrasser. Seule le gain du point compte, n'en déplaise aux puristes. Dans les ultimes instants de la finale ce samedi, elle aurait pourtant pu céder face à la pression de Sabalenka, passée proche de débreaker à 5-4 après avoir sauvé une balle de titre. Sans paniquer, Gauff a fait le choix de la sécurité pour assurer.

Sur ce point crucial à 30-30, le coup droit de Gauff est pris pour cible. Pour s'en sortir, l'Américaine, face au vent, décide de mettre beaucoup de lift pour s'assurer que sa balle dépasse le filet. Avec un peu de réussite, elle retombe juste derrière et surprend Sabalenka.

La Floridienne obtient un passing facile à tirer pour remporter le point.

Quelques instants plus tard, Gauff s'en sort une nouvelle fois avec intelligence. Mise sous pression sur sa deuxième balle, elle fait le choix d'un service slicé extérieur pour déporter sa vis-à-vis et l'empêcher d'attaquer au retour.

Gênée, cette dernière envoie son coup droit directement dans le filet.

Jusqu'à la concrétisation de sa balle de match - totalement folle en raison de son coup droit très lifté que Sabalenka a vu sortir avant de se reprendre - la deuxième joueuse mondiale a gardé son sang-froid, malgré la peur et le stress liés à l'enjeu. Endurance, intelligence, patience et prudence : à 21 ans, Gauff maîtrise déjà à merveille tous les codes de la terre. Nouvelle reine de Paris, elle pourrait bien inscrire son règne dans la durée.