Rétro : 30 ans après leur record, Buisson et Van Lottum refont le match

Noëlle Van Lottum et Virginie Buisson reviennent sur leur match record, joué le 31 mai 1995.

 - Rémi Bourrieres

Le 31 mai 1995, les Françaises Noëlle Van Lottum et Virginie Buisson rentraient dans l'histoire de Roland-Garros en disputant ce qui est encore le plus long match féminin jamais joué à Paris. Trente ans après, nous les avons réunies pour en reparler.

Un match célèbre et mystérieux

C'est un match dont tous les passionnés de tennis ont entendu parler. Mais il a conservé une part de mystère, tant peu d'images en ont filtré. Heureux spectateurs du court 7 de Roland-Garros (désormais court 4), le 31 mai 1995 : ils ont assisté en exclusivité à un morceau de légende.

Ce jour-là, les Françaises Noëlle Van Lottum (22 ans, 162e mondiale) et Virginie Buisson (25 ans, 177e mondiale), toutes deux bénéficiaires d'une wild-card, sont opposées au premier tour de Roland-Garros, dans un match décalé d'un jour en raison de la pluie. La plus jeune, qui a été mieux classée (57e en 1993), est favorite. Mais après avoir mené 7/6(3), 5-2, trois balles de match, elle finit par s'embourber dans le jeu ultra-solide de la Nordiste, qui l'embarque dans un combat à rallonge et finit par l'emporter 6/7(3), 7/5, 6/2.

Un score qui n'a finalement rien d'exceptionnel, à l'inverse de la durée de la rencontre : 4h07, ce qui demeure le plus long match féminin jamais joué à Roland-Garros. Retour sur ce petit moment d'histoire.

L'avant-match

Noëlle Van Lottum : Mon avant Roland-Garros avait été compliqué. Deux jours avant le début du tournoi, j'avais eu un accident de voiture en Allemagne, où je venais de jouer un match par équipes. Je roulais avec ma 205 cabriolet, au niveau de Düren, quand quelqu'un a pilé devant moi. Une voiture derrière m'est rentrée dedans. Avec le choc, j'ai été propulsée vers le haut et ma tête a cogné sur la barre de toit. Si violemment que j'ai eu une fracture du crâne ! Mais ça, je ne l'ai su qu'après.

Virginie Buisson : De mon côté, je jouais plutôt bien cette année-là. À l'époque, il y avait beaucoup de densité dans le tennis féminin français et les filles qui ne rentraient pas dans le tableau final devaient disputer un match de barrage à Roland-Garros pour avoir une invitation. J'avais gagné ce match contre une certaine Amélie Castera, qui avait 17 ans et qui était alors un grand espoir.

N. V. L. : Ma chance, c'est que nous étions entrées tard dans le tournoi. Sinon, j'aurais peut-être déclaré forfait. Je n'étais donc pas dans ma meilleure forme, mais j'avais malgré tout essayé d'aborder le match de manière positive, en mettant tout en œuvre pour le gagner.

V. B. : Moi, j'avais 25 ans mais je me considérais encore comme très jeune. Grâce à cette victoire contre Amélie, j'allais disputer mon premier tournoi du Grand Chelem. Et je ne ressentais aucun stress particulier. Jeune, je n'étais pas stressée. Je le suis beaucoup plus aujourd'hui quand je dispute des matches vétérans ! Comme j'étais moins bien classée que Noëlle, j'avais certainement moins de pression.

Virginie Buisson Championnats de France 2024©FTT

Virginie Buisson a décroché l'an dernier son 15e titre de championne de France seniors à Roland-Garros.

Le match

V. B. : Je me souviens d'une journée chaude et humide, ce qui a rendu le match encore plus dur physiquement. Tout de suite, les échanges étaient très longs, les jeux aussi. Je faisais beaucoup de balles hautes, longues et liftées. C'était mon style de jeu. J'avais une très bonne condition physique, je pouvais tenir longtemps et je misais là-dessus. À l'époque, beaucoup de filles jouaient comme ça.

N. V. L. : Je savais que Virginie était une battante, une très bonne joueuse de terre battue. Je me doutais que ça allait être long et compliqué. J'étais moi aussi une joueuse de fond de court mais j'étais un peu plus agressive. J'essayais d'ailleurs de lui mettre la pression, dans les moments clés. Mais je n'en mettais pas assez dans mes frappes et je n'arrivais pas à faire la différence. Malgré tout, je suis passée tout près puisque j'ai eu des balles de match dans le deuxième set (elle a mené 7/6, 5-2). Je crois me souvenir avoir raté une volée sur l'une d'entre elles. Mais c'est très flou...

"Sur la balle de match, j'ai vu mon père se lever de son siège"

V. B. : Je me rappelle très bien cette balle de match car, à ce moment-là, j'ai vu mon père se lever de son siège dans les tribunes ! Il pensait que c'était fini et s'apprêtait à partir. Je le revois encore (rires) ! C'est une image qui me reste gravée.

N. V. L. : Pour ma part, je me souviens de la présence des gardes du corps sur le court. C'est une mesure de sécurité qui avait été prise à la suite de l'agression au couteau dont avait été victime Monica Seles à Hambourg deux ans plus tôt. Et il me semble que c'était la première fois que je jouais avec ce dispositif. Cela faisait bizarre d'avoir cette armoire à glace derrière soi à chaque changement de côté.

V. B. : Autre chose qui m'a marquée : l'ambiance, qui allait en grandissant au fur et à mesure du match. Au début, il n'y avait pas grand monde et à la fin, les tribunes étaient pleines. Il faut dire que, jusqu'au bout, le combat a été rude. Le score du troisième set ne reflète pas la physionomie. Tous les points étaient disputés, tous les jeux allaient aux égalités. C'était interminable…

"En sortant du court, j'ai fait un malaise"

N. V. L. : J'ai continué à me battre dans ce troisième set mais je sentais bien, malgré tout, que le match m'échappait. Ce n'était pas mon jour, et c'était assez compliqué à vivre mentalement. J'étais une joueuse assez émotive. Mais je ne le montrais pas trop. D'ailleurs, tout le match s'est déroulé dans un très bon état d'esprit, il n'y a pas eu le moindre problème entre nous. Nous étions très concentrées sur nous-mêmes. Nous ne réalisions pas du tout que nous étions en train d'établir un record. Ce n'est qu'après qu'on nous l'a dit.

V. B. : De mon côté, ce n'est pas un record ! J'ai fait une finale aux Championnats de France seniors qui a duré environ 4h45. Des matchs comme ça, j'en ai fait pas mal. Je suis un peu une spécialiste du genre.

N. V. L. : Pour ma part, c'est mon record et de loin ! Respect à Virginie d'avoir su trouver les ressources. Elle a mérité sa victoire. Pour moi, c'était dur à vivre mais j'étais quand même heureuse pour elle. Gagner son premier match pour son premier Roland-Garros, surtout de cette manière, c'était quand même un bel exploit.

Noëlle Van Lottum Roland-Garros 2025©Cédric Lecoq / FFT

Noëlle Van Lottum est à Roland-Garros cette année pour superviser le parcours de Victoria Mboko.

L'après-match

V. B. : Merci, mais la suite a été compliquée, par contre. J'ai joué contre Kimiko Date (future demi-finaliste cette année-là, ndlr) sur le court 1 qui était, à l'époque, le deuxième plus grand court du stade. Et là, j'ai ressenti plus de pression. Elle a été n°4 mondiale, je n'avais jamais joué contre une fille de ce niveau, sur un court aussi grand. J'étais un peu impressionnée et j'ai perdu sèchement. Mais c'est resté une belle expérience.

N. V. L. : Pour moi aussi, la suite a été difficile puisque j'ai fait un malaise juste après le match. Je suis sortie du court en marchant normalement et c'est en me dirigeant vers les vestiaires que je me suis trouvée mal. On m'a allongée sur la Place des Mousquetaires où l'on m'a mise sous perfusion, avant de me transporter aux vestiaires sur une civière. Puis, le soir, on m'a emmenée faire des examens à l'hôpital de Boulogne. Et c'est là que les médecins ont décelé une fêlure au niveau de la boîte crânienne. Pendant le match, je n'avais rien senti. C'est incroyable, d'ailleurs, de voir à quel point l'adrénaline permet de dépasser ses limites.

V. B. : Je n'étais pas aussi mal en point, mais je n'étais pas fraîche non plus. Une fois arrivée à l'hôtel, je me suis écroulée sur mon lit et c'est surtout le lendemain que j'ai senti la fatigue dans mes jambes. Heureusement, mon deuxième tour a été décalé d'un jour en raison de la pluie, ce qui m'a donné plus de temps pour récupérer. Ce n'est pas à cause de ça que j'ai perdu.

Extrait de Tennis Magazine daté du mois de juillet 1995.

Aujourd'hui

N. V. L. : Aujourd'hui encore, on me reparle beaucoup de ce match. À chaque Roland-Garros, il y a toujours au moins un ou deux journalistes qui m'appellent, du monde entier. Il y a deux ans, Beatriz Haddad Maia et Sara Sorribes Tormo ont failli battre notre record (victoire de la Brésilienne en 3h51, ndlr). Cela arrivera probablement un jour. Et ce ne sera pas très grave.

V. B. : En tout cas, c'est un record battable, même avec la mise en place du super tie-break. Le score de notre match n'est pas exceptionnel, pas comme Isner-Mahut à Wimbledon. Donc oui, il sera peut-être battu. Cela restera néanmoins un souvenir marquant pour moi, puisque c'était ma première et dernière participation à un Grand Chelem.

N. V. L. : Nous nous sommes revues plusieurs fois depuis. Un jour, à l'occasion d'un Championnat de Ligue, Virginie avait demandé à ma fille (Julie Belgraver, qui a atteint le deuxième tour des qualifications cette année, ndlr) si je lui avais déjà parlé de ce match. Mais non, je ne l'avais jamais fait (rires) ! Comme Julie est plutôt une attaquante, quand elle a vu les images, elle m'a dit : "Mais comment c'est possible de jouer comme ça ?!" Pour elle, c'est du tennis vintage !

Julie Belgraver, Roland-Garros 2025, Simple Dames, Qualifications©Nicolas Gouhier / FFT

Julie Belgraver lors des qualifications de ce Roland-Garros 2025

Ce qu'elles sont devenues

Noëlle Van Lottum (52 ans) officie depuis deux ans pour la Fédération canadienne, où elle est responsable du tennis féminin. Basée à Montréal, elle supervise notamment la carrière de Victoria Mboko, qui a crevé l'écran sur ce Roland-Garros 2025.

Virginie Buisson (55 ans) est pour sa part professeur de tennis dans le Nord de la France, au TC Somain et au TC de la Rhonelle. Encore classée 4/6, elle a décroché l'an dernier son 15e titre de championne de France seniors !