A la découverte des "marqueurs", statisticiens de Roland-Garros

Focus sur le métier de marqueur, qui consiste à collecter les stats au bord des courts.

©Julien Crosnier / FFT
 - Rémi Bourrieres

Si la technologie est massivement présente autour des terrains de tennis, l'aspect humain demeure indispensable à la collecte des statistiques. Nicolas Berger (38 ans), qui fait partie des 65 marqueurs chargés de "chiffrer" les matchs cette année à Roland-Garros, nous parle de sa fonction, à la fois discrète et essentielle.

Deux par deux, heure par heure

C'est un réflexe quasiment pavlovien qu'ont désormais tous les suiveurs du tennis après chaque match. Un "check-up" exhaustif des principales statistiques, support devenu indispensable à l'analyse. Novak Djokovic a réussi 33 coups gagnants, Alexander Bublik a tenté 37 amorties, Jessica Pegula a commis 38 fautes directes... Chaque rencontre est disséquée à travers des dizaines et des dizaines de données, elles-mêmes relayées en temps réel via un dispositif technologique extrêmement pointu. On ne peut plus s'en passer.

Mais aussi impressionnants soient les progrès depuis l'introduction de la statistique dans les années 80, une chose n'a pas changé : ces chiffres-là nécessitent une intervention humaine pour les collecter. C'est le travail des marqueurs, ces femmes et ces hommes au bord des terrains, chargés de "stater" les matchs. Leur présence est aussi discrète que leur responsabilité est importante. Les données chiffrées qu'ils vont générer seront reprises dans le monde entier, que ce soit par les journalistes, le public et, de plus en plus, le staff des joueurs.

Vous les avez sans doute déjà vus sans trop y faire attention, nichés dans un petit box dans les gradins. Toujours à deux, le premier occupe le "poste stat" et est chargé, pour simplifier, de définir la nature du point (coup gagnant, faute directe, passing, volée etc.). Le second, à la "console radar", enregistre la direction du service (une donnée prise en compte par le radar pour en calculer la vitesse), puis tient le "rallye count", qui recense la durée de l'échange en dissociant, à chaque frappe, le coup droit du revers. Equipés d'un boîtier et d'un écran, les deux marqueurs s'affairent pendant et après chaque point, pianotant leurs touches avec vigueur et précision.

"Il y a une exigence grandissante autour de la stat"

"A l'instant même où le point est terminé, on enregistre toutes les données. L'idée, c'est de valider au moment même où l'arbitre annonce le score, même s'il peut y avoir une ou deux secondes de décalage, explique Nicolas Berger, qui "dispute" son 12e Roland-Garros en tant que marqueur. Il faut être rapide et précis. C'est un travail qui demande beaucoup de concentration. Pendant le jeu, on ne peut pas se permettre de relâcher son attention un seul instant. C'est pour cela qu'on tourne toutes les heures sur les courts où nous sommes affiliés."

A 38 ans, cet ingénieur automobile originaire de Wissembourg, en Alsace, n'a pas raté une édition depuis 2014 et a même eu la chance de "stater" cinq finales, dames et messieurs. "Depuis ma première année, la fonction s'est beaucoup professionnalisée, raconte-t-il. On est plus nombreux, mieux formés et la sélection est plus importante. On "marque" aussi plus de matchs qu'avant. Désormais, par exemple, on fait tous les doubles et tous les matchs juniors, alors qu'ils n'étaient que partiellement "statés" auparavant. Globalement, il y a une exigence grandissante autour de la stat'. Nous devons répondre à cette exigence en livrant des données toujours plus riches, le plus proprement et le plus rapidement possible."

Un vrai défi, d'autant que la statistique n'est pas toujours une science exacte. S'il n'y a évidemment pas de souci en ce qui concerne un ace ou un coup droit gagnant, parfois, c'est plus subjectif. On pense par exemple à la fameuse frontière entre la faute directe et la faute provoquée, qui peut s'avérer très difficile à établir. "On regarde comment le joueur arrive sur la balle, s'il est bien sur ses appuis, mais il y a toujours, inévitablement, de petites différences d'interprétation, selon sa sensibilité", concède Nicolas Berger. Le but, c'est qu'à 95%, tout le monde "state" la même chose et pour cela, nous essayons d'établir entre nous des règles de marquage précises."

Décision arbitre Roland-Garros 2025©Philippe Montigny / FFT

L'angoisse du "undo"

Ces fameuses règles peuvent par exemple concerner la priorité, à l'image de la volée gagnante qui primera toujours sur le passing gagnant (dans le cas d'un face-à-face au filet). Ou du retour gagnant qui, lui aussi, primera sur le passing gagnant (dans le cas d'une tentative de service-volée). Mais il y a toujours des zones grises, auxquelles on ne pense pas forcément. Et des pièges fréquents, parmi lesquels figure en tête de liste le fameux "overrule" de l'arbitre, qui peut en un rien de temps vous transformer un coup gagnant en faute directe.

Il n'est donc pas rare que le marqueur se retrouve confronté à sa pire angoisse : le "undo", ce qui, dans son jargon, signifie une erreur. Un point mal "staté", et validé trop tôt. Dans ce cas-là, il faut revenir en arrière et recliquer sur la bonne séquence de boutons, ce qui nécessite de la mémoire et du sang-froid. "Lors de mon tout premier match, sur l'ancien court 2, j'avais paniqué et j'avais pris un "bouillon" pas possible, au point qu'un collègue avait dû reprendre mon poste, se souvient Nicolas Berger. Aujourd'hui, je maîtrise beaucoup plus. Mais il y a toujours des pièges. Quand on se retrouve sur un match un peu monotone, le soir, après avoir pris le soleil toute la journée, c'est typiquement le moment où l'on peut perdre sa concentration et commettre des erreurs."

Sauf que le marqueur n'a pas droit à l'erreur, ou très peu. D'autant qu'il est lui aussi évalué, et sélectionné sur les gros matchs en fonction de ses prestations, en sus de son expérience. Ne vous fiez donc pas à son air faussement détaché au bord du court : dans les tribunes, au milieu du public, c'est peut-être lui, le marqueur, qui a le plus de pression.