Rafael Nadal : "Tellement beau de ressentir cet amour"

Morceaux choisis d'interviews réalisées en juin 2024 et février 2025 à retrouver dans le magazine officiel de Roland-Garros.

Rafael Nadal / Finale Roland-Garros 2005©Corinne Dubreuil / FFT
 - Roland-Garros

Lorsque l’on évoque Roland-Garros, c’est instantanément son nom qui résonne. Rafael Nadal a noué une relation unique avec le Grand Chelem parisien, transformant la terre battue en son royaume personnel. Alors que le chapitre de sa carrière tennistique s’est refermé fin 2024, l’Espagnol évoque ici son histoire avec Roland-Garros. Un témoignage authentique pour nous permettre de mieux comprendre le lien particulier qu’il entretient avec "son" tournoi et "son" public.

Racontez-nous votre première venue à Roland-Garros...

Rafael Nadal : La première fois que je suis venu, c’était en 2004. J’avais des béquilles. J’étais triste parce que j’étais déjà censé jouer cette année-là, mais je m’étais blessé au pied quelques semaines plus tôt. Je me souviens être arrivé à Roland-Garros, un endroit que j’avais regardé à la télévision toute ma vie, et, même avec des béquilles, être allé dans la partie la plus haute du stade et de m’être dit : "J’espère que l’année prochaine, je serai ici en train de réaliser de belles choses". C’était triste parce que je rêvais depuis si longtemps de jouer à Roland-Garros pour la première fois.

Cela a-t-il rendu l’année 2005 encore plus spéciale ?

L’année 2005 a été très spéciale. C’était mon premier titre à Roland-Garros, mon premier titre du Grand Chelem. Les choses sont allées très vite parce que j’ai commencé l’année en étant classé autour de la 50e place mondiale. Quelques mois plus tard, je me battais pour arriver à Roland-Garros, avec le sentiment que je n’étais peut-être pas le favori, mais l’un des favoris, parce que j’avais fait une excellente saison sur terre battue. Je suis arrivé avec un défi différent, en jouant au meilleur des cinq sets pendant deux semaines et en gérant mes nerfs... Je me souviens avoir eu un tirage difficile, car je rencontrais Richard Gasquet au troisième tour, un duel que j’avais failli perdre à Monte-Carlo. Mais les choses se sont bien passées et j’ai pu trouver le moyen de remporter mon premier titre. C’est un moment inoubliable. Je me souviens que Zidane m’avait remis le trophée. C’est un grand souvenir. Quand j’ai tenu le trophée dans mes mains, je me suis dit : "Bon, maintenant, je peux me détendre pour le reste de ma vie, j’ai atteint tout ce pour quoi je me suis battu". Mais ensuite, année après année, on se dit : "Non, je veux vivre cela encore une fois".

En demies, vous avez battu Roger Federer. Pouvez-vous décrire le défi que cela représentait de l’affronter à son meilleur niveau ?

Quand on est un très jeune joueur, on ne ressent pas ce poids. On ressent la nervosité, la pression, mais de manière positive, ce qui renforce la motivation, parce qu’on sent qu’on n’a pas grand-chose à perdre. Je suis entré sur le court avec la motivation d’essayer de gagner le match, parce que j’avais perdu contre lui à Miami en cinq sets. Cela m’a donné confiance en mes capacités. En même temps, la demi-finale d’un tournoi du Grand Chelem est très différente. Je suis entré sur le court avec la détermination de jouer de manière agressive, avec le plus haut niveau d’intensité possible. Et je pense que j’ai joué dur, comme il se doit contre un joueur aussi extraordinaire que Roger. J’ai joué avec la bonne détermination.

Qu’en était-il de votre rivalité avec Novak Djokovic ? Vous l’avez affronté pour la première fois en 2006...

Pour moi, Novak était un vrai concurrent, même avant 2007 et 2008, nos premières demi-finales ici l’un contre l’autre. Pendant quelques années, je l’ai battu, en souffrant beaucoup. J’ai joué contre lui à plusieurs reprises : en 2012 en finale, en 2013 en demi-finales, en 2014 à nouveau en finale, si je ne me trompe pas, et puis en 2015. Cette année-là, j’ai joué le pire tennis de ma carrière. C’est probablement la seule fois où je suis entré sur le court en sachant que j’avais peu de chances de gagner, parce que je n’étais pas prêt à jouer au niveau nécessaire pour battre un joueur comme Novak. Je suis entré sur le court en sachant que ce serait presque impossible.

Rafael Nadal / Remise des trophées Roland-Garros 2012©Corinne Dubreuil / FFT

Les mains de Rafael Nadal lors de la Remise des trophées de Roland-Garros 2012

En 2013, vous l’avez battu 9/7 au cinquième set en demi-finales. Parlez-nous de ce match...

Ce match a été très émouvant. Je servais pour le match dans le quatrième set, donc d’une certaine manière j’avais le match plus ou moins sous contrôle, mais c’était difficile de gagner des jeux contre le vent. Et j’ai perdu mon service au moment de conclure. Il a commencé à jouer comme une machine sur le court, ne manquant rien, jouant de manière très agressive, et dans le cinquième set, tout était à la limite. Il menait 4-2, quelque chose comme ça, il s’est passé des choses, et le match était sur le fil du rasoir. À la fin, tout aurait pu arriver. J’ai réussi à trouver une solution, mais c’était très difficile. C’est l’un des matchs les plus difficiles de toute ma carrière à Roland-Garros.

Diriez-vous que les moments les plus spéciaux sont ceux pour lesquels vous avez lutté et surmonté l’adversité ?

À 100 %. Ces années m’ont rendu plus fier, plus heureux et plus émotif. Je ne suis pas un joueur qui aime gagner des matchs facilement. Si l’on parle de satisfaction personnelle, j’ai toujours trouvé plus spécial de gagner lorsque je suis confronté à un grand défi. J’aime gagner, bien sûr, mais j’aime le challenge, j’aime la compétition. J’apprécie d’autant plus les choses que j’ai accomplies lorsqu’elles sont difficiles à réaliser.

D’où vient cette motivation ?

Elle vient de l’amour du jeu. C’est l’essentiel, et la passion pour ce que je fais. J’aime ce sport. Je ne suis pas seulement un joueur de tennis professionnel, je suis un grand fan de ce sport en général. Les moments que j’ai pu regarder et suivre en tant que fan m’ont inspiré et m’ont poussé à aller plus loin dans la passion et la motivation.

Rafael Nadal / Demi-finales Roland-Garros 2014©Corinne Dubreuil / FFT

Rafael Nadal et son coup droit signature en demi-finales de Roland-Garros 2014

Vous êtes-vous déjà senti imbattable ?

Non. Je n’ai eu ce sentiment à aucun moment de ma carrière.

Comment la relation avec le public parisien a-t-elle évolué au fil des ans ?

Je me suis toujours senti respecté, mais il est vrai que les deux premières années, j’ai eu l’impression que le public voulait que Roger gagne. D’une certaine manière, il voulait que je perde, probablement parce qu’il pensait que si je perdais ici, Roger aurait plus de chances. Roger a gagné en 2009. Après cela, je pense que les gens ont commencé à me traiter complètement différemment. Il est difficile de décrire le bonheur et la fierté que j’ai ressentis, à quel point je me suis senti aimé dans l’endroit que j’aime le plus. Je ne remercierai jamais assez le public pour ce qu’il a fait pour moi à Paris. Il a vu que j’étais un combattant, un bon gars, et que j’essayais de faire de mon mieux à chaque fois que j’étais là. Je pense qu’il a senti à quel point j’aime Paris et Roland-Garros. C’est un endroit où j’ai vécu tant d’émotions. Et les émotions restent avec vous pour toujours. Ici, j’ai ressenti de la joie, de la souffrance et beaucoup de nervosité. J’ai ressenti l’amour des gens et c’est tellement beau de ressentir ce genre d’amour dans l’endroit que l’on aime le plus.

Vous avez établi des records dès votre premier titre. Qu’est-ce qui rend le 10e si spécial ?

Dix est un chiffre énorme. Penser gagner dix Roland-Garros en 2005 aurait été irréel, c’est vrai. Roger, Novak et moi-même étions en train de construire nos carrières, mais quand on pense à gagner dix Roland-Garros, ce genre de chiffres entre dans l’histoire du jeu. Et pour moi, même aujourd’hui, je ne peux pas expliquer comment j’ai gagné 14 Roland-Garros. C’est quelque chose de difficile à expliquer. Bien sûr, j’étais très bon sur terre battue. Oui, j’ai travaillé dur. Mais pour y arriver, il faut beaucoup de choses, y compris de la chance. La vérité, c’est qu’il était impossible pour moi d’imaginer remporter 10 titres. Ce que Roland-Garros a fait pour moi, avec la cérémonie de remise des trophées, la foule qui scandait mon nom et le numéro dix, a été incroyable. C’est sans aucun doute l’un des moments les plus spéciaux de ma carrière.

Et vous l’avez partagé avec Toni sur le podium...

Toni est la personne la plus importante de ma carrière. Le fait qu’il soit présent sur le court pour me remettre ce trophée était très spécial et inoubliable. À l’époque, il avait toujours dit que c’était la dernière année où il serait mon entraîneur. C’était donc encore plus émouvant. Je ne remercierai jamais assez Roland-Garros de m’avoir permis de vivre ce moment avec mon oncle sur le court.

Rafael Nadal / Demi-finales Roland-Garros 2018©Corinne Dubreuil / FFT

Rafael Nadal lève les bras au ciel en demi-finales de Roland-Garros 2018

Peut-on dire que Roland-Garros a été votre lieu de prédilection ?
Quand vous commencez à y gagner un trophée, puis deux ou trois, cela devient un endroit forcément très spécial. Et même après 10-12 victoires, si vous m’aviez demandé quel Grand Chelem j’aurais aimé remporter à nouveau, j’aurais répondu Roland-Garros une fois de plus. Gagner les trois autres a été extraordinaire, mais lorsque vous atteignez ce nombre, chaque titre que vous ajoutez est incroyable pour l’histoire du sport et pour mon histoire personnelle. Je pense qu’il sera difficile d’améliorer l’histoire que j’ai ici, ce sera un record difficile à battre.

En 2022, vous avez remporté votre dernier Roland-Garros...

L’année 2022 a été très difficile. Mon corps commençait à me donner des signes clairs que les choses ne fonctionnaient pas comme elles le devaient, mais je jouais bien. Cette année-là, j’ai gagné en Australie, probablement le titre le plus inattendu de ma carrière. Ensuite, j’ai eu une fracture de stress dans une côte qui m’a stoppé net. Puis j’ai eu de nombreux problèmes avec mon pied et à Rome, j’ai terminé sur une jambe. À Paris, je n’ai pas pu m’entraîner et jouer correctement. Nous avons donc décidé de faire des injections pour calmer la douleur dans mon pied. J’ai gagné le match contre Corentin Moutet, mais tout de suite après, je n’ai pas pu poser mon pied au sol. Je me souviens avoir pleuré à cinq heures du matin dans mon lit en pensant que ma carrière à Roland-Garros était terminée. J’en ai parlé à mon médecin, en qui j’avais une grande confiance. Il est venu d’Espagne et nous avons trouvé un moyen d’endormir le nerf pour pouvoir aller jusqu’en finale. C’est la dernière fois que j’ai gagné Roland-Garros. La demi-finale a été brutale contre "Sascha" (Alexander Zverev) et nous avons vécu une situation terrible sur le court. Même si je gagnais à ce moment-là, je ne sais pas si j’aurais gagné le match s’il ne s’était pas blessé. Le quart de finale contre Novak a été un match très émouvant, où le public m’a soutenu comme un fou, et cette atmosphère restera à jamais dans mon cœur et dans mon esprit.

Rafael Nadal / Huitièmes de finale Roland-Garros 2022©Corinne Dubreuil / FFT

Rafael Nadal exulte après sa qualification pour les quarts de finale de Roland-Garros 2022

Un autre match mémorable est celui que vous avez disputé contre Alexander Zverev, cette fois en 2024...

Je voulais me donner une chance de dire que ce ne serait pas mon dernier tournoi, même s’il était très probable que ce soit le cas. Ce match contre "Sascha" est inoubliable. J’ai eu mes chances, j’ai pris du plaisir à rejouer ici. Il est toujours impossible de décrire ce sentiment et le public était incroyable.

Vous êtes connu pour être une personne très humble. D’où cela vient-il ?

Plus qu’humble, je me considère comme un homme normal. Je viens d’un petit village de Majorque. Je pense que j’ai eu la chance d’être entouré de bonnes personnes et d’une bonne famille. J’ai reçu une éducation très positive. En fin de compte, je ne suis qu’un très bon joueur de tennis. C’est vrai. Mais pour tout le reste de la vie, je suis comme n’importe qui d’autre en dehors du court de tennis. Je crois vraiment qu’il n’est pas nécessaire d’être arrogant simplement parce qu’on est bon dans un domaine particulier.

Quel héritage souhaiteriez-vous laisser à Roland-Garros ?

Les mots sont des mots, les exemples sont des exemples. Mon héritage, c’est la passion, l’amour, la détermination, le travail acharné et le fait d’essayer d’avoir le plus de succès possible, mais toujours avec des valeurs positives, en faisant les choses de la bonne manière. Gagner est important, mais ce n’est pas tout. Les chiffres sont là, donc c’est sûr qu’on se souviendra de moi comme d’un bon joueur de tennis, mais pour moi, il est plus important de se souvenir de moi comme d’une bonne personne.

Découvrez les reportages, interviews et nombreux contenus du Magazine de Roland-Garros 2025 en vous le procurant sur le site officiel de la boutique !