Décryptage : Ben Shelton à la conquête de la terre battue

Alors qu’il a déjà connu la deuxième semaine dans les trois autres Grands Chelems, l’Américain réalise sa première percée jusqu’en huitièmes de finale à Roland-Garros.

 - Marius Veillerot et Hugo Rondet

Doté d’armes particulièrement dangereuses, Ben Shelton détient ce qu’il faut – sur le papier – pour briller sur terre battue. Problème ? Ses débuts sur cette surface en Europe ne remontent qu’à deux ans. Le 13e mondial n’est donc pas un "produit fini" sur ocre, mais il possède déjà des arguments pour gêner Carlos Alcaraz, ce dimanche, en huitièmes de finale de Roland-Garros.

"J’essaie toujours d’apprendre et de prendre quelques trucs chez les meilleurs joueurs de terre quand je les affronte." Sur le plateau de TNT Sports, Ben Shelton a assuré être un élève studieux, désireux de s’améliorer sur une surface à laquelle il se frotte depuis peu. Ça tombe bien, ce dimanche, l’Américain de 22 ans va se mesurer à ce qui se fait de mieux dans ce secteur : Carlos Alcaraz.

Éjecté dès le premier tour pour ses débuts Porte d’Auteuil en 2023, il a progressé jusqu’au troisième étage l’an dernier. Cette année, "Big Ben" voulait, pour de bon, passer à l’heure parisienne en améliorant encore sa marque. C’est déjà chose faite. Face à Lorenzo Sonego pour son entrée en lice puis contre Matteo Gigante au troisième tour (il a bénéficié du forfait d'Hugo Gaston au deuxième), il a dégainé les armes qui l’ont déjà porté dans le dernier carré de l’US Open et de l’Open d’Australie.

Un kick dévastateur

Difficile d’évoquer cet ancien joueur de foot US sans pointer son engagement. Si la terre battue ralentit le jeu et ne lui permet pas d’envoyer des ogives aussi supersoniques que sur dur, elle lui offre, en revanche, la possibilité de jouer sur l’effet imprimé à la balle. Une technique en particulier : le kick, lors duquel le projectile est frappé de façon à rebondir haut et à fuser. Résultat, les adversaires du Floridien se retrouvent souvent loin de leur ligne de fond, voire déportés vers l’extérieur à l’instant de relancer.

"Plus de 90% des joueurs du circuit sont droitiers donc on peut kicker sans cesse sur leur revers", a-t-il expliqué en conférence de presse, vendredi. Car oui, Shelton est gaucher, ce qui ajoute un paramètre au problème qu’il pose à ses adversaires. Une fois que ses vis-à-vis sont repoussés près des bâches, le joueur d’1,93m peut miser sur l’amortie et les obliger à couvrir une longue distance pour rester dans l’échange. Exemple par l'image face à Gigante.

Grâce à son service kické, Shelton déporte totalement son adversaire vers l'extérieur.

L'Américain en récolte les fruits : il n'a plus qu'à glisser une amortie pour gagner le point. Un schéma classique chez les spécialistes de l'ocre, que Shelton s'est bien réapproprié.

Shelton Way

Lorsqu’il n’est pas d’humeur à la jouer fine, Shelton peut tout aussi bien capitaliser sur ce brutal engagement pour appuyer fort côté coup droit dès la deuxième frappe, voire miser sur le service-volée. Si la terre battue est prisée des joueurs défensifs, la victoire finale d’Alcaraz l’an passé a rappelé que les attaquants pouvaient s’y épanouir.

Sur cette séquence du match contre Sonego, Shelton décide de construire son point en multipliant les décalages coup droit. Ses trajectoires bombées lui permettent de faire reculer son adversaire en attendant la bonne balle.

Naturellement attiré vers l'avant, il parvient à conclure le point grâce à une superbe volée en extension. La preuve que son style de jeu offensif est transposable sur ocre.

Car la mentalité "Benny", c’est ça. Le show et l’agressivité. Particulièrement inspiré en Majeur, il a trouvé dans le Chatrier une scène taillée pour lui. L’Américain appartient à la catégorie des "matcheurs".

Doté d’un corps de mutant, il est capable d’encaisser le défi physique imposé par l’ocre. "Parfois, j’ai besoin de trois sets pour trouver mon rythme et dans les tournois du Grand Chelem, tu as beaucoup de temps. Ça devient un défi physique et ça ne m’effraie pas", a-t-il poursuivi sur TNT.

Au-delà de ses trajectoires bombées et de sa présence au filet, il possède aussi la faculté de jouer des slices ciselés qui ajoutent de la variété à son tennis. Du plus bel effet, sur terre. Shelton est un joueur qui "sent" les coups, à l’image de ses compilations de hot shots conclues par des smashs tonitruants.

S'il n'est pas le meilleur défenseur du circuit, Shelton tente tout de même d'ajouter à son jeu les bases du terrien, à commencer par la glissade, comme ici face à Gigante.

Mais son ADN d'attaquant le pousse rapidement à prendre d'assaut le filet : deux coups droits plus tard, il conclut par un smash en reculant. Défendre puis attaquer, le combo parfait entre l'exigence de la terre et la mentalité offensive de Shelton.

Attention, terrain glissant !

À nous lire, le protégé de Bryan Shelton, ex-top 60, est taillé pour Roland-Garros. Néanmoins, il lui manque certains codes propres à ce terrain. S’il a pu taper quelques balles sur ocre à l’université en Floride, il n’a fait connaissance avec la terre battue européenne qu’en avril 2023, à Estoril.

"Big Ben" pédale parfois dans le vide avec ses appuis un peu lourds et son sacré gabarit, davantage adapté aux surfaces dures. "Le déplacement, c'est l'un des points sur lesquels j'ai le plus progressé, même si je ne suis pas un produit fini sur terre battue", a souligné l’intéressé lors du Media Day.

Il se montrait plus sévère avec lui-même au sortir de sa victoire du troisième tour, vendredi, conscient que ses glissades – notamment en appuis ouverts – et ses changements de direction ne sont pas encore au point.

Après un bon enchaînement service - coup droit, Shelton semble en position idéale pour conclure le point. Gigante est acculé.

Mais l'Italien regagne petit à petit du terrain. La longueur de son contre de revers déstabilise Shelton. Peu à l'aise en défense, ce dernier perd du temps en refusant de glisser.

En un coup, Gigante inverse la dynamique du point et peut finir par une amortie. Trop en retard, Shelton se démobilise et ne tente même pas d'y aller.

Ces lacunes risquent de fortement le pénaliser face au cocktail de puissance, de précision et de finesse du jeu de "Carlitos".

Face à Gigante, le rookie américain s'est parfois pris les pieds dans le tapis, comme ici au milieu du deuxième set.

Après un coup droit sauté, Shelton perd ses appuis et se retrouve au sol, contraint de tenter un coup désespéré. Mais il gagnera tout de même le point !

Quoi qu'il en soit, le Floridien ne tient pas à révolutionner son jeu pour l’ocre. Plutôt à l’adapter. Rester agressif, à l'image de ses retours de services depuis une position avancée, à revers de la mode sur le circuit. Ce tempérament le dessert parfois. Qui dit terre battue, dit échanges allongés et multiplications des coups de raquette. Soit autant d’occasions supplémentaires de se tromper. Shelton gagnerait parfois à patienter davantage.

"J’arrive à me convaincre que je n’ai pas à adopter le style de jeu classique sur terre en restant six mètres derrière la ligne de fond et en envoyant des lifts, mais que je peux être efficace sur cette surface, tout en gardant mon propre style", a toutefois posé l’Américain. Fidèle à lui-même, "Benny" désire creuser son propre sillon.