Pendant trois semaines, qualifications incluses, les 14 photographes missionnés par la Fédération française de tennis à Roland-Garros se répartissent la couverture en images de l'ensemble des courts de l'enceinte parisienne. Après un planning reçu la veille au soir, place aux dernières consignes chaque matin, à 10h30 : "Aujourd’hui, il faut au minimum l’entrée des joueurs, la poignée de main et bien sûr les photos de match, rappelle Julie Papini, la cheffe d’orchestre de la petite troupe. En somme, c’est le menu complet : entrée, plat, dessert !"
En immersion avec les photographes de Roland-Garros
Zoom sur le travail et le quotidien au pas de course des photographes du Grand Chelem parisien, toujours en quête du cliché parfait.
Alexander Zverev, Roland-Garros 2023, Simple Messieurs, 1/4 de Finale
S'ils assurent généralement le programme des autres courts en solitaire, c'est en binôme que les photographes quadrillent le Suzanne-Lenglen et le Philippe-Chatrier. "Je commence le premier set au bord du terrain et toi, tu te postes en hauteur après l’entrée des joueurs, si ça te va." Corinne Dubreuil s'organise avec Cédric Lecocq en amont du premier match du jour sur le Central. Elle se positionne au plus près du court, juste derrière les fleurs, pour immortaliser "l’entrée de rêve", qui voit deux jeunes licenciés fouler la terre battue pour assister au toss et poser au filet avec les joueurs et l’arbitre.
Quelques secondes auparavant, Cédric est le témoin privilégié d’une scène toujours aussi impressionnante. Dans les souterrains du Chatrier, il attend patiemment l'entrée des joueurs. Le petit sas dans lequel il se trouve précède les célèbres marches qui permettent d’accéder à la terre battue promise. Soudain, la musique s'arrête. Le temps est suspendu au rythme des battements de cœur qui résonnent dans les tribunes. Tour à tour, les joueurs sortent des vestiaires et entrent dans la pièce. "C'est bon, les portes sont fermées", indique le responsable de la sécurité. Plus personne ne bouge, le silence règne.
"Quand il y avait Rafa dans la pièce, c’était dingue, je me sentais tellement petit"
Face à l’objectif de Cédric, il ne reste plus que deux joueurs habités par leur routine d'avant-match : casque sur la tête, méditation, répétition des gestes raquette en main, pas chassés... les deux adversaires se jaugent, s'observent ou bien s'ignorent. Le défi ? Rester pleinement concentré avant de pénétrer dans l’arène. Une scène d’une intensité folle. "Ça me met toujours les poils, avoue d'un ton ému le photographe, qui a pourtant vécu plus de dix éditions pour la FFT. Quand il y avait Rafa dans la pièce, c’était dingue, je me sentais tellement petit, il faisait des bonds, des sprints dans la pièce, c’était impressionnant".
Pour les photographes, le quotidien est rythmé par les allées et venues dans le bureau de la FFT, situé sous le court Philippe-Chatrier. Ils y passent régulièrement pour décharger leurs cartes SD auprès des éditeurs : un véritable travail d’équipe. Ces derniers sélectionnent environ cinq photos par match, les renomment puis classent les clichés choisis dans la base de données pour pouvoir s’en servir tout au long de l’année. Les photographes disposent également d’un petit boîtier 5G qui leur permet d’alimenter le flux mis à disposition des réseaux sociaux et du site officiel du tournoi. Les équipes bénéficient ainsi des photos quasiment en temps réel !
Photographe, Roland-Garros 2024
Pour ne rien manquer d’une scène de joie, il faut souvent courir, dévaler les escaliers et les remonter à toute vitesse. "On est potentiellement à un jeu de la fin du match, il faut que je me mette juste derrière le clan du joueur, mais en même temps, il sert à l’opposé du court", réfléchit Cédric. Alors que faire ? Plus question de traîner, il monte au sommet du Central pour s’offrir une vue d’ensemble sur la célébration. L’acide lactique brûle les jambes, son attirail de câbles et ses multiples appareils en bandoulières pèsent plusieurs kilos. "30-0... c’était chaud !" souffle-t-il. Deux points plus tard, la photo aurait été manquée.
Heureusement, toute l’équipe connaît chaque raccourci pour gagner du temps. Un sandwich tout juste avalé, Cédric emprunte la fosse des ramasseurs de balles du Philippe-Chatrier : un véritable jardin secret. Le petit bataillon s’échauffe, répète les fameux "roulés" et court à quelques mètres seulement des joueurs, juste derrière les panneaux publicitaires. Au mur, de multiples empreintes de mains sont accompagnées de noms, de dates, de mots, de blagues... Génération après génération, les ramasseurs perpétuent la tradition et laissent leurs traces dans les entrailles du Central.

Visite Guidee des coulisses pour Mastercard, Roland-Garros 2022
Chercher la lumière si singulière du Simonne-Mathieu
Que ce soit sur le court Suzanne-Lenglen avec Pierre Froger, ou sur le Simonne-Mathieu avec Nicolas Gouhier, la fin d’après-midi est synonyme de jeu avec la lumière. "Photographier des coups droits, des revers, c’est bien. Mais il faut chercher quelque chose d’autre : une atmosphère, une ambiance, et sans une bonne lumière, c’est impossible", admet Nicolas. Les Serres du court Simonne-Mathieu sont le terrain de jeu idéal. Perché tout en haut des tribunes, l’artiste attend que le soleil fasse son œuvre. En fin de journée, l’ombre projetée sur une partie du terrain devient un véritable tableau vivant.
Malheureusement pour Nicolas, le soleil joue à cache-cache. "Ce qui est frustrant, c’est qu’on attend des heures le moment parfait, la lumière idéale, le geste imprévisible et hors du commun. Mais des fois, ça ne vient jamais ! Par contre, quand les choses viennent, il ne faut pas rater le coche, il n’y a rien de pire !"
Coco Gauff, Roland-Garros 2024, Double Dames, 1/2 Finale
Pour finir la journée, Loïc Wacziak se réfugie dans la fosse du Central. Ses collègues, massés dans cette petite cavité où la température est plus fraîche qu’ailleurs, admirent le spectacle d’en bas et cherchent l’angle parfait. L’immensité du court est décuplée par la verticalité des tribunes et des baies vitrées qui se dressent en face des boîtiers photo.
Ramasseurs, Roland-Garros 2021
Novak Djokovic est là, à moins de cinq mètres. Le lieu est unique et permet d’immortaliser l’homme aux 24 titres du Grand Chelem en contre-plongée, en portrait, en décelant des détails presque invisibles. Mais attention tout de même, il faut régulièrement éviter les balles qui s’infiltrent à toute vitesse : sur un ace, un coup gagnant ou un raté d’un des joueurs. "Sur le deuxième tour de Djokovic, je me suis pris une de ses balles en pleine joue. Ça réveille !", plaisante Loïc. Le métier de photographe, même à Roland-Garros, n’est pas sans risque !
