Une fois la cérémonie terminée, Rafael Nadal a retrouvé la salle de conférence de presse. Peut-être pour la dernière fois. Avec beaucoup d'humour et de spontanéité, l'Espagnol est revenu sur ce grand moment, ses échanges avec les légendes du Big 4, la plaque posée en son honneur sur le Philippe-Chatrier et, plus généralement, l'ensemble de sa carrière.
Rafael Nadal : "Ma gratitude est infinie"
Rafael Nadal s'est présenté une dernière fois en conférence de presse à Roland-Garros. Et il a été parfait !
Qu'avez-vous pensé de cette cérémonie ?
Rafael Nadal : C’était parfait. Je ne m'attendais pas à ressentir autant d'émotions aujourd'hui. Merci encore à Gilles (Moretton), Amélie (Mauresmo) et à toutes les personnes qui ont rendu ça possible. C'était inoubliable, même pour un gars comme moi qui n’aime pas ce genre de choses, car je suis encore un peu timide. Je n’aime pas être au centre de l’attention. J'ai assez connu ça quand je jouais encore au tennis !
Étiez-vous au courant pour la plaque sur le court Philippe-Chatrier ?
Ça a été une énorme surprise. Je n’étais pas au courant, je ne savais rien avant la cérémonie. Je pensais qu'elle ne resterait que cette année, mais savoir qu'elle sera là pour l'éternité, c’est un cadeau indescriptible. Ce sera toujours un honneur et beaucoup d’émotions de voir cette plaque sur le court le plus important de ma carrière. Ma gratitude envers les gens qui ont permis ça est infinie.
Comment avez-vous perçu l'émotion du public ?
Pour un Espagnol, recevoir cet hommage en France, c’est spécial. Depuis 12, 15 ans, ils m'ont traité comme si j'étais français. Quand je vois tout ce respect du public et des organisateurs, comme pour les Jeux olympiques, quand j'ai reçu la flamme des mains de Zizou... Quand je vois comment le pays et cette ville me respectent... Vous n’imaginez pas à quel point ça me rend heureux et ce que ça représente pour moi.
Aviez-vous été prévenu de la venue de Roger Federer, Andy Murray et Novak Djokovic ?
Voir mes trois plus grands adversaires sur le court ici, ça veut dire beaucoup, non ? Ça envoie un message fort au monde : que certains des plus grands rivaux de l'histoire de ce sport sont restés de bons collègues, qu'ils se sont respectés. On a fait passer le message que l’on peut être rivaux, se battre de toutes ses forces, sans pour autant se détester.
Je n'avais pas été mis au courant de leur venue, même si je pouvais l’imaginer. Ils savaient qu'ils pouvaient rendre ce jour très spécial pour moi. C'était plus facile pour Novak, qui joue le tournoi, mais ça représente beaucoup que Roger et Andy soient venus. Si on n'est que deux à rivaliser au court d'une carrière, on peut perdre un petit peu de motivation, alors que quand on est quatre... Ça ne nous laissait jamais le temps de nous reposer sur nos lauriers, ça nous a montré la voie pour devenir toujours plus forts. On a accompli nos rêves. On a propulsé les chiffres du tennis dans une autre dimension.
Qu'est-ce que vous vous êtes dit une fois la cérémonie terminée ?
On a pris des nouvelles de la vie de tous les jours, de la famille. Avec Andy, on ne s'était plus parlé depuis la défaite du Real Madrid en Ligue des champions contre Arsenal. Andy est fan d’Arsenal. D’ailleurs, je vais vous lire le message qu’il m’a envoyé à la seconde où le match s'est terminé (il sort son téléphone) : "Hey Rafa, on ne s’est pas parlé depuis longtemps. Je t'écris juste pour être sûr que ça va". J’ai mis cinq secondes à me rendre compte de ce que j'étais en train de lire. Je me suis dit d'abord dit qu’il était sympa de prendre de mes nouvelles. Et après j’ai réalisé : c'est typiquement l’humour britannique. Et, au fait, je ne lui ai pas répondu quand le PSG a battu Arsenal !
Étiez-vous du genre à vous souvenir du moindre match disputé ? Et, si vous deviez retenir l'un de vos titres à Roland-Garros, lequel vous a procuré le plus d'émotions ?
J’étais du genre à me rappeler de chaque point. Mais j’ai perdu ce privilège il y a quelques années. Je me rappelais de tout, plus maintenant. Peut-être parce que j'ai fermé ce chapitre de ma vie. Si je devais choisir une édition, ou plutôt quelques éditions, je dirais d'abord 2006. Elle était spéciale car je suis revenu d'une blessure très importante au pied.
Les gens pensent à 2008 car c’est l’année où j’ai le mieux joué, mais il y a eu moins d’émotion. Je me rappelle davantage des tournois où j'ai souffert. Bien sûr, il y a le titre de 2010, après avoir perdu en 2009. Celui de 2012 a été important aussi car j'ai failli réaliser le Grand Chelem des défaites en finale, avec mes revers à Wimbledon, l'US Open, l'Open d'Australie après six heures... Avec ce succès à Paris, j'ai brisé cette spirale. Celui de 2020 était inattendu. Et celui de 2022 a été le plus dur, en raison de tout ce qui s’est produit avant ou pendant le tournoi.
Vous êtes toujours en forme. Rejouez-vous régulièrement au tennis depuis votre retraite ?
Ça fait huit mois que je n’ai pas touché une raquette. Ce n’est pas grâce au tennis que je suis resté en forme. J’ai besoin de rester déconnecté du tennis pendant un moment. Je ne jouerai pas tout de suite d’exhibition car il faut s’y préparer pour être en forme, pour les fans, mais je participerai à certaines à l'avenir.
Ma routine quotidienne, c’est de ne pas en avoir. Je m’occupe de ma fondation, de la chaîne hôtelière, de l’académie, de ma famille. Ce n’est pas facile de choisir des objectifs, mais il faut en avoir. Une vie sans objectif, c’est dur selon moi.
Les matchs de tennis ne me manquent pas car j’ai la sensation d’avoir donné tout ce que j’avais à donner à ce sport. Je suis en paix avec ma décision. J’apprécie ma nouvelle vie. Elle est certes moins excitante, car je pense que l’adrénaline d’une carrière sportive est impossible à retrouver ailleurs, mais ça ne veut pas dire que je suis moins heureux. Je peux être plus heureux avec moins d’adrénaline.
La compétition, le quotidien des matchs, cela ne vous manque-t-il pas ?
Je n’ai pas besoin de compétitions. Pendant les quelques mois qui ont suivi ma retraire, j’ai même perdu tout esprit de compétition. Je m’en fichais si je perdais, si j'étais mauvais ou bon à quoi que ce soit. Mais ça m’est passé. Je suis de nouveau compétiteur, quand je joue au golf. Désormais, j’ai soif d’apprendre, j’étais un joueur de tennis et ça m’a empêché de découvrir certaines autres facettes de la vie.
Quelles sont les qualités, exposées au cours de votre carrière, dont vous êtes le plus fier ?
La détermination, c’est très important et c'est ce qui mène à cette passion d'aller s'entraîner chaque jour. Il faut garder cette envie de chercher à s’améliorer. S’entraîner avec l’objectif de progresser. Je ne suis jamais allé sur un court de tennis juste pour m’entraîner, mais toujours pour progresser. C’est l’une des clés de mon succès. Car cet état d’esprit compensait mes blessures, les choses négatives. Sans ça, tout ce succès aurait été impossible.
Vous laisserez l'image d'un joueur poli, apprécié des personnes qui œuvrent en coulisses, était-ce important pour vous de véhiculer cette belle image ?
Les résultats sont les résultats. Bien sûr, on se rappellera de moi pour ce que j’ai fait sur le court. Tu peux mentir à une large audience, au grand public, mais tu ne peux pas mentir à ceux qui sont auprès de toi au quotidien, après les victoires, après les défaites, les gens en coulisses. Que ce soit les chauffeurs, les ramasseurs de balles... Ils te voient agir. Je veux qu’on se souvienne de moi comme de quelqu’un qu’on est heureux de revoir quand il revient. J’ai ce sentiment dans la plupart des endroits.
Ce record de 14 titres à Roland-Garros, sera-t-il battu un jour ?
Honnêtement, ça va être difficile (rires). Mais, je le dis et je le pense : je ne me considère pas comme quelqu’un de si exceptionnel. Je n’ai jamais songé à devenir le plus grand joueur de l’histoire, j'étais juste concentré sur le fait de progresser chaque jour. Je n’ai jamais perdu le sentiment que je pouvais perdre à chaque match. Ce doute a été très important dans ma carrière. Quelqu’un d’autre arrivera et y parviendra. Mais beaucoup de planètes doivent s’aligner pour réussir ce que j'ai réalisé : il faut une longue carrière, peu de blessures, même si j’en ai eu beaucoup, mais il ne faut pas avoir beaucoup de mauvais jours. Et il faut aussi avoir de la chance. Gagner 14 Roland-Garros, ça peut arriver. Mais je dirais que ça prendra au moins 30 ans !
Souhaiteriez-vous à votre fils de vivre la même carrière que la vôtre ?
Si mon fils vivait une carrière similaire à la mienne, oui, je signerais. Car je n’ai jamais eu l’impression d’avoir fait beaucoup de sacrifices, d'avoir perdu une partie de ma vie pour devenir professionnel. Quand tu fais ce que tu veux faire, tu ne fais pas vraiment de sacrifices. Tu travailles dur, certes, mais c'est ton choix. Si mon fils le vit comme ça, je le soutiendrai. Je ne pense pas que ce sera le cas, mais je le soutiendrai quoi qu'il fasse. Mon point de vue, c'est que tu ne dois pas avoir le sentiment de passer à côté d'autres choses.