Richard Gasquet dispute son 22e et dernier Roland-Garros. Le quart-de-finaliste de l’édition 2016 évoque pour nous son amour pour le tournoi, pour le stade, mais aussi son appréhension de devoir mettre un terme à sa carrière et de vivre cette “petite mort” du champion qui raccroche...
Interview Richard Gasquet : "Le plus grand tournoi au monde"
Richard Gasquet retrace son histoire à Roland-Garros, où il mettra un point final à sa carrière lors de cette édition 2025.
Richard, même si cela peut sembler une évidence, pourquoi avez-vous choisi de jouer votre dernier match à Roland-Garros ?
Pour un joueur français, c’est le plus grand tournoi au monde, tout simplement. C’est un Grand Chelem, bien sûr, mais pour moi ce tournoi est au-dessus de tous les autres, fois dix, vraiment à des années-lumière des autres. C’est totalement naturel de finir ma carrière à "Roland". Quand j’ai pris la décision d’arrêter en octobre 2024, quand j’ai senti qu’il était temps, j’ai tout de suite pensé à Roland-Garros.
Quel est votre premier souvenir du tournoi ?
Ce sont des cassettes vidéo que mes parents m’offraient quand j’avais 6-7 ans. Je me souviens de celle de 1991, de 1992 avec le parcours d'Henri Leconte (demi-finaliste, ndlr). J’étais gamin, je me les passais en boucle. Ensuite, vers 8-10 ans, je suivais le tournoi à la télévision dans mon club de Sérignan, avec mes copains.
À quel âge avez-vous découvert le stade ?
J’y suis allé à 12 ou 13 ans en tant que spectateur avec mon père (Francis, qui a été son premier entraîneur, ndlr) pour voir Marcelo Rios (ex-n°1 mondial) sur le court Central. Mais j’y ai aussi joué, très jeune, d’abord sur les courts couverts du Centre national d’entraînement, avec le Challenge Reebok, puis lors des championnats de France des catégories 13-14 ans, sur le court n°2 notamment.
Quel est le lieu que vous préférez aujourd’hui ?
Ce sont surtout des lieux qui n’existent plus qui m’ont marqué. Notamment l’ancien Centre national d’entraînement et ses chambres, on vivait là, c’était un peu mythique pour nous. Et la porte 13. J’y recevais des lettres de fans, on les récupérait et avec ma mère, au début, j’y répondais (sourire). Je pense aussi aux Taraflex, sous l’ex-court n°1, on y faisait des parties de foot avec les copains. Aujourd’hui, tout ça n’existe plus, mais ça a fait partie de mon adolescence. Ce sont des souvenirs forts. Le stade est désormais transformé, je le trouve magnifique, même sans tout ça ! Le "Lenglen", par exemple, est un court que j’adore. Il n’y a pas un mètre carré du stade que je ne connaisse pas !
Richard Gasquet pour sa première expérience à Roland-Garros, lors du simple garçons de l'édition 2002
Sportivement, quels sont vos souvenirs les plus forts ?
Ma première participation, c’était énorme, déjà. Aujourd’hui encore, ça reste un truc fort pour moi. C’était en 2002, j’avais presque 16 ans. Tu regardes le tournoi à la télé sur la 2, et d’un seul coup ou presque, tu te retrouves sur le Suzanne-Lenglen à affronter Albert Costa, qui a gagné le tournoi cette année-là... C’est assez dingue. J’avais fait quatre sets, je n’avais pas été trop mal. Je gagne aussi chez les juniors lors de cette édition, mais les juniors, ça ne m’a jamais transcendé.
Vous avez d’ailleurs été titré à deux reprises à “Roland”, chez les juniors et en double mixte avec Tatiana Golovin en 2004...
J’ai remporté deux titres à Roland-Garros, mais les deux qui ne servent à rien (il s’en amuse). Peut-être que je vais gagner le Trophée des Légendes un jour, j’aurai alors peut-être trois titres inutiles (sourire). Non, mais c’est vraiment cette première participation qui a été marquante pour moi. Après, ma meilleure année, c’est 2016, je vais en quarts, je joue Andy Murray. Je m’étais vu aller loin cette année-là. Il y avait Stan Wawrinka en demies, c’était un énorme joueur, mais ce n’était pas Nadal. Je gagne le premier set, je perds le tie-break du second… Je cède un peu, ensuite. C’est dommage, mais je n’ai pas de regrets. J’ai fait pas mal de huitièmes de finale (cinq, ndlr). Les éditions où j’étais le plus en forme, je suis tombé sur de grands joueurs, trois fois contre Nadal, deux fois sur Djokovic, Murray, Wawrinka… Je suis passé au travers vraiment une fois, en 2007, l’année où je finis 7e mondial (défaite au 2e tour contre le Belge Kristof Vliegen, ndlr).
Richard Gasquet vainqueur du double mixte de l'édition 2004 avec Tatiana Golovin
Avez-vous des regrets d’être tombé sur cette génération de champions assez extraordinaires ?
Un peu... Je me dis qu’il y avait peut-être de la place pour faire un grand truc avant cette période, entre 1998 et 2005, car je trouve que c’était moins fort. Juan Martin del Potro, Stan Wawrinka, Marin Cilic ont réussi à gagner un Grand Chelem pendant l’ère des quatre "monstres" (Rafael Nadal, Roger Federer, Novak Djokovic, Andy Murray, ndlr), mais c’était très dur de se faire une place. C’était brutal. Mais ça reste une belle période, un âge d’or du tennis. Il y avait ce quatuor de champions et quatre très bons joueurs en France (Jo-Wilfried Tsonga, Gilles Simon, Gaël Monfils et lui-même, ndlr). Je pense que le public a apprécié tout ça.
Quel regard portez-vous sur les quatorze victoires de Rafael Nadal ?
Quatorze fois. Quatorze... Quand tu en es à six comme Björn Borg, c’est déjà énorme, mais quatorze, c’est inimaginable ! En plus, certaines années, il était tellement facile. Son jeu, sa culture de la terre battue, sa puissance, son toucher, il était... trop fort. Trop fort, tout simplement. C’était un rouleau compresseur. Au tout début, lors de notre confrontation à Roland-Garros en 2005, il ne me faisait pas peur. Je n’étais pas passé loin de le battre juste avant, à Monte-Carlo. Mais à "Roland", j’ai pris trois sets. Ensuite, plus tard, j’ai eu le sentiment d’être impuissant. Oui, c’était dur. Peut-être que dans plusieurs années, en 2045, par exemple, il y aura un joueur plus fort que Nadal sur terre battue. Qui sait… Mais ça paraît difficile à croire.

Richard Gasquet et Rafael Nadal après leur face-à-face lors de Roland-Garros 2018
Comment décririez-vous les ambiances que vous avez vécues à “Roland” et comment abordiez-vous le tournoi ?
Tu sens les vrais amateurs, les passionnés, les connaisseurs. C’est énorme, la passion, les encouragements que l’on reçoit. Les deux ou trois premières années, c’était un peu dur. J’étais jeune. J’étais peut-être un peu tendu. Ensuite, j’ai été bien, j’étais heureux de jouer Roland-Garros. Ces quatre ou cinq dernières années, j’ai trouvé le public particulièrement bienveillant avec moi. Ça m’a touché, ça me touche. C’est aussi pour ça que je veux finir à Roland-Garros. Je veux finir face à des gens qui sont heureux d’être dans les tribunes, comme je suis heureux d’être sur le court.
Comment imaginez-vous ce dernier Roland-Garros ? Est-ce que vous appréhendez ce moment ?
J’espère bien jouer d’abord... Je ne me suis pas senti très à l’aise pour mon dernier Rolex Paris Masters. Je veux vivre des belles émotions. Et oui, j’appréhende la dernière balle... J’ai été dans le Top 100 quasiment la moitié de ma vie... La fameuse "petite mort", ça risque d’être un peu vrai. Je vais me réveiller le lendemain sans avoir d’entraînement. Sans avoir de tournoi au programme. Oui, ça va faire drôle. Les retraites de Jo (Tsonga, ndlr) et de Nadal, notamment, m’ont déjà fait “bizarre”. Mais c’est la vie d’un sportif professionnel...
Richard Gasquet salue la foule après sa victoire au premier tour de Roland-Garros 2024
Qu’est-ce qui va vous manquer ?
Ce sont les émotions, le public, les grands courts. Il n’y a pas beaucoup de métiers où on peut avoir un tel privilège. Ce qui ne va pas me manquer, c’est la pression, les sentiments après des défaites, les douleurs...
Qu’aimeriez-vous que les gens retiennent de votre histoire à Roland-Garros ?
J’espère que je leur ai fait vivre des émotions. C’est ça qui reste. La finalité du tennis, c’est le spectacle que les joueurs proposent, les émotions qu’ils peuvent procurer aux spectateurs, aux téléspectateurs.
Votre revers est presque une image d’Épinal... Est-ce que c’est le coup que vous avez préféré frapper ici à Paris ?
Le revers court croisé, oui ! J’adorais faire ce coup. Tu ne peux le réussir qu’à une main, ou presque. Je regrette d’ailleurs cette disparition du revers à une main sur le circuit aujourd’hui. Les joueurs frappent fort, très fort, ils prennent la balle tôt en revers à deux mains, sans trop de variété. Il y en a beaucoup comme ça. Cela me fait un peu peur pour l’intérêt du tennis.
Est-ce qu’il y a quand même des joueurs de la nouvelle génération que vous trouvez excitants ?
J’adore regarder jouer Carlos Alcaraz. Il est différent des autres. Mais ceux qui m’éclatent, ce sont les jeunes Français. Arthur Fils, Giovanni Mpetshi Perricard, ils ont de quoi gagner des grands tournois. J’y crois. Ils en ont le potentiel.
Le légendaire revers de Richard Gasquet, à Roland-Garros 2017